N° 1121 | Le 10 octobre 2013 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Avec ses vingt-trois ans d’exercice en tant qu’experte psychologue judiciaire, à raison d’une soixantaine d’expertises annuelles d’enfants ayant subi des agressions sexuelles, l’auteure sait un peu de quoi elle parle. Et c’est bien le fruit de sa longue expérience qu’elle nous livre ici, tant en ce qui concerne le travail qu’elle assure en amont du jugement, que dans la prise en charge thérapeutique des jeunes victimes.
La première fonction de Marie-Christine Gryson-Dejehansart consiste donc bien, non pas à établir la crédibilité de l’enfant qui démontrerait la culpabilité de l’accusé, mais de tenter d’objectiver l’existence d’un traumatisme sexuel compatible avec son témoignage. Le petit d’homme ne possède pas les ancrages cognitifs lui permettant de décrire une fellation ou un viol qu’il n’aurait pas subi, explique l’auteur. Tout au contraire, si on lui suggère qu’il ment, il sera tenté de minimiser, voire de se rétracter, souhaitant avant tout avoir rêvé une agression dont l’incongruité ne lui permet guère de métaboliser ce qui s’est passé. C’est pourquoi l’auteur s’appuie sur toute une série d’outils lui permettant de mesurer la cohérence des affirmations recueillies tant avec l’âge, le développement affectif, intellectuel et cognitif de l’enfant ou son ancrage dans la réalité, qu’avec les séquelles psychologiques cliniquement identifiables.
C’est, d’abord, l’utilisation du dessin sur lequel la petite victime va projeter sa réalité intérieure. Loin de toute interprétation référée à un dogme, l’enfant doit être laissé libre de donner son propre sens, le tracé constituant une sorte de langage qu’il revient au psychologue de tenter de décoder. Autre support, cette échelle de quarante-sept critères destinés à vérifier la compatibilité du récit avec les retentissements traumatiques. En cas d’affabulation, seuls sept ou huit d’entre eux seront vérifiés, une vingtaine au minimum devant l’être pour valider l’existence de l’agression. Chez les enfants violés dans l’affaire d’Outreau, on en trouvait entre trente et quarante !
Mais l’action de l’auteure s’est aussi étendue à la mise au point d’une méthodologie thérapeutique ouverte et évolutive, élaborée progressivement depuis 1983 et destinée à aider les jeunes victimes à se détacher de l’emprise de leur agresseur autant que de l’obsédant sentiment de culpabilité. Elle fonctionne avec des groupes de dix à quinze enfants, âgés de quatre à douze ans, à qui l’on propose la création d’un conte mettant en scène un héros et un « méchant ». Grâce au cadre protecteur du groupe et avec l’aide d’un tiers médiateur, s’élabore alors un scénario imaginaire qui redonne à ces jeunes victimes le pouvoir d’agir, celui de ne plus subir tout autant que de combattre la persistance de l’effraction.
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