N° 1316 | Le 26 avril 2022 | Critiques de livres (accès libre)
Donner sens à son mal-être
À peine avait-il achevé le manuscrit de « Mon père », roman mettant en scène un homme s’en prenant au prêtre ayant violé son enfant, que Grégoire Delacourt fut atteint d’un profond malaise dont il ne put se libérer qu’en se plongeant dans le souvenir de sa propre enfance. L’amnésie traumatique venait de se dissoudre, faisant resurgir son terrifiant passé. Son nouveau livre télescope son parcours d’adulte et la plongée dans la violence sexuelle vécue, évoquant les ravages que produit, si longtemps après, une maltraitance dont on ne se remet jamais vraiment. Son témoignage est rempli de pudeur et c’est par petites touches qu’il laisse entrevoir une blessure qui n’a jamais cicatrisé, produisant pendant si longtemps ses effets destructeurs. Ses maux de ventre récurrents tout le reste de sa vie n’en sont-ils pas le symptôme ? Assailli par une multitude de « pourquoi », il n’aura de cesse que de coucher sur papier tout ce qui rejaillit de sa mémoire. Pourquoi ses prises de Valium et de Mogadon, dès l’âge de 10 ans ? Pourquoi son refus qu’on le lave ? Pourquoi ses prises de trichlo jusqu’à la nausée ? Aujourd’hui, il regarde son corps et se demande où cela a commencé. Un corps d’enfant si vulnérable que les doigts d’un homme peuvent si facilement violer. Le principal dommage collatéral de son innocence flétrie est d’avoir fait de lui, adulte, un handicapé de l’amour. Lui, qui a eu quatre enfants, s’interroge : est-on un bourreau de père en fils ? Jusqu’à ce livre, il a survécu dans l’ignorance de l’origine de son mal, continue-t-il. L’écriture aura été son chemin de croix qui lui a permis d’avoir enfin accès à ce qu’il avait subi. Il lui aura fallu écrire dix livres comme autant de petits cailloux d’un petit poucet blessé pour libérer une parole qui aura été seule à même de réparer cet enfant souillé et profané.
Jacques Trémintin
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