N° 1078 | Le 11 octobre 2012 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Rédigé comme un journal de bord, l’ouvrage de Laure A. (qui a voulu garder l’anonymat), se présente à la fois comme la description de l’hépatite C qui, pour n’être pas aussi médiatisée que ne l’est le sida, n’en est pas moins envahissante, et à la fois comme le récit de la réminiscence d’une agression sexuelle vécue dans l’enfance.
Étonnamment, le traitement médical a joué un rôle catalyseur dans la révélation du traumatisme, la lutte pour la résolution du passé sublimant progressivement le combat mené contre la maladie. Ce qui avait pu être enfoui loin dans la mémoire a été réveillé par les soixante-douze semaines de traitement. Imprévisibles et très perturbants, les effets secondaires des injections d’Interféron peuvent faire perdre tous les repères : irritabilité, troubles de l’attention, syndrome dépressif, perception amplifiée des bruits et des odeurs… pouvant pousser certains malades à des tentatives de suicide.
L’auteure, de peur d’être stigmatisée et ostracisée, n’en informe que sa famille proche. Soutenue par ses médecins, fréquentant des groupes de parole de personnes ayant la même maladie, elle atteindra parfois un état d’épuisement physique et moral la contraignant à prendre rendez-vous avec ses trois enfants auprès du corps médical, pour leur faire prendre conscience de la gravité de ce qu’elle pouvait alors vivre. Mais l’Interféron ne fait pas que combattre le virus de l’hépatite C. Comme une caisse de résonance, il place face à soi-même, induisant une opération de grand nettoyage tant viral que mental.
Surgie du passé, la scène du viol infligé par quatre adolescents s’impose à elle. Elle avait dix ans et vivait avec ses parents dans un logement de fonction d’un foyer de jeunes délinquants de ce qui s’appelait à l’époque Éducation surveillée (aujourd’hui PJJ). Son père, directeur de l’établissement, se pliera à la coutume de l’époque. Ayant fait examiner son enfant par un médecin, il suivra les conseils du praticien : « Ne vous souciez de rien, elle ne se souviendra de rien, elle oubliera. » Et voilà que la terrible maladie fait éclater l’horreur des murs du silence. Le tabou régnant jusque-là dans la famille commence à se craqueler : même si son père continue à nier, bienveillance et confirmation affluent de la part de ceux qui savaient ou ne doutent pas de sa parole. Non, elle n’est pas folle. Non, cette réminiscence ne provient pas du syndrome des faux souvenirs : « Le monde devient plus léger, plus fluide […] C’est de l’oxygène qui entre dans mes poumons, de la brume qui se dissipe » (p.135).
Plongée en enfer, parcours initiatique ou rédemption ? Le lourd traitement contre l’hépatite C aura permis de libérer la parole. Situation paradoxale, qu’un bien doive sortir d’un mal.
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