N° 1078 | Le 11 octobre 2012 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Voilà un terrible récit de vie, effrayant à la fois par sa destinée et sa banalité. On savait que certaines personnes pouvaient devenir sans domicile suite à des accidents de la vie qui les propulsent d’une existence stable et équilibrée à un tel état d’exclusion et de désespoir, qu’elles renoncent à se battre pour s’en sortir.
Le parcours de Michel Paquot en est l’illustration parfaite. Pourtant rien ne prédisposait cet homme à connaître la rue. Le début de son existence en Belgique, marquée par l’échec de son mariage et une perte d’emploi, le mène en France. Là, il va bénéficier d’une chance incroyable autant qu’extraordinaire. Recruté pour faire la plonge dans un restaurant quatre étoiles de la Côte d’Azur, le chef cuistot le prend sous son aile et lui propose de lui apprendre son métier. De simple commis de cuisine, Michel Paquot va bientôt accumuler un savoir-faire tel qu’il lui vaudra, au bout de quelques années, d’être choisi pour prendre la suite du chef, quand celui-ci fera valoir ses droits à la retraite. Mais cette destinée hors du commun acquise sans diplôme et sur le tas, dans un pays où rien ne s’acquiert sans formation préalable, va bientôt tourner au vinaigre. Nous n’irons pas plus loin ici au risque de déflorer le récit détaillé qu’en fait Lucien Tanguy.
Comment, avec une telle situation, peut-on se retrouver sans ressources, ni moyens de survie ? Mauvaise passe dans le travail, ennuis de santé, accumulation de déconvenues en sont les ingrédients. On assiste à la progressive descente aux enfers d’un homme qui finit par quitter la chambre meublée qu’il n’arrivait plus à payer et se retrouver à chercher un lieu pour dormir dans les jardins publics, ne rencontrant la solidarité du voisinage que grâce à sa chienne pour qui on s’inquiète plus que pour lui. Jamais déclaré par son patron, ses années de travail au noir ne lui seront d’aucun secours, quand il s’agira de faire jouer la solidarité qu’auraient pu lui assurer ses cotisations sociales, si elles avaient été payées. Enchaînement de circonstances qui fait dire à Michel Bourgat, préfacier et adjoint au maire de Marseille (UMP, cela va sans dire) qu’il a côtoyé des SDF « qui ont eu des parcours plus fautifs ».
Plutôt qu’une recherche de responsabilités individuelles à propos desquelles les thuriféraires du libéralisme excellent, on retrouvera avec beaucoup d’intérêt le témoignage à la fois émouvant et distancié d’un Michel Paquot arpentant les rues, côtoyant ses frères de misère, confronté à la violence et au désespoir et fréquentant les travailleurs sociaux du Samu social, n’acceptant d’intégrer l’unité d’hébergement d’urgence de la ville de Marseille qu’après avoir passé des mois sous l’escalier de la gare Saint-Charles.
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