N° 813 | Le 19 octobre 2006 | Philippe Gaberan | Critiques de livres (accès libre)
Pas facile de trouver sa place dans une institution ! Surtout s’il s’agit de la clinique de La Borde et si, parmi les patients ou les membres du personnel, sont encore présents quelques témoins « du mythique âge d’Or ». L’auteur, et peu importe son diplôme professionnel puisque tout le monde à La Borde est d’abord « moniteur », a tenté ce difficile pari.
À son arrivée, puisqu’il faut bien se rendre utile et faute d’être considérée comme soignante ou soignée, Anne-Marie Norgeu se saisit d’un balai. Et c’est seulement lorsqu’elle est assise sur un banc, bien plus tard et enfin décidée à prendre le temps de ne rien faire sinon d’être là, que deux vieux Labordiens, passant tout près d’elle, lui signifient à voix suffisamment haute pour qu’elle l’entende, que « ça y est, elle est arrivée » (p.18).
À La Borde, ceux qui savent ce qu’ils vont faire sont appelés les « grillés », car ils ont leur nom inscrit sur une liste d’atelier ou sur une activité du quotidien. Le terme résume tout le paradoxe du « prendre soin » qui incite le malade au mouvement mais qui en même temps sait respecter son immobilité ; « Il faut être un peu patient avec soi-même », dit l’une d’entre eux (p.24). À part un léger coup de blues laissant entendre des lendemains qui déchantent pour la psychiatrie (p.114), tout le livre d’Anne-Marie Norgeu respire la poésie ; comme si en ce haut lieu de savoirs hérités des maîtres (Tosquelles, Oury, Deligny, Fontvieille), la théorie n’était qu’un détail parmi tant d’autres du quotidien. « Tout ça c’est des conneries d’amour…
C’est la conclusion quasi rituelle qu’une Labordienne de longue date lance à la fin des réunions : elle sait de quoi elle parle, elle est ici depuis tant d’années ! » (p.111). Il est des patients et des impatients de toute sorte : il y en a qui souhaitent mourir avec le jour, d’autres pour qui demain ne veut rien dire, d’autres enfin pour qui toute réussite est un calvaire. Mais peu importe, fous ou pas fous, tous concourent à « déranger le train-train mortifère » (p.98) et à maintenir l’institution en bonne santé (p.115). Ainsi sans placer un mot plus haut que l’autre, Anne-marie Norgeu replace l’essentiel de la relation soignante dans la banalité du moindre geste du quotidien. Un livre à déguster lentement sous la couette lorsque « tant va le mois d’août qu’à la fin il septembre » (p.87).
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