N° 813 | Le 19 octobre 2006 | Philippe Gaberan | Critiques de livres (accès libre)
Le titre va séduire et, sans doute, il suffira pour créditer l’ouvrage d’un certain succès. De fait, il va côtoyer sur les rayons des librairies tous les autres naufrages déjà annoncés ; celui de la famille, de l’école, du politique, bref de toutes les institutions. Il vient ainsi conforter un sentiment diffus de malaise dans la culture dans lequel se trouvent empêtrés la fin du XXe siècle et le commencement du XXIe. Mais le titre de l’ouvrage est trop excessif pour être honnête ! Sans doute laisse-t-il entrapercevoir une vérité conforme à la réalité ou à une certaine représentation de celle-ci ; car il est vrai que la psychiatrie va mal. Mais simultanément, les termes utilisés sont trop généraux (la psychiatrie est une entité trop multiforme pour être saisie globalement) et trop violents (le naufrage) pour aborder de façon constructive un champ éminemment complexe et sensible.
L’auteur est journaliste et c’est en cette qualité qu’elle a réalisé ce livre. Dès lors, toute la dimension « enquête » est extrêmement utile et pertinente. Sophie Dufau concentre en ces quelque 300 pages des points de repères jusque-là disparates. Son chapitre sur les racines de la psychiatrie, court mais incisif, pose quelques fondements utiles. Plus loin, l’analyse de la loi de 1993 vient renforcer la vision de l’évolution de ce secteur. De même, les chiffres glanés tant sur les conduites addictives des adolescents ou sur le nombre des psychiatres et la « surcharge des cabinets » sont des apports intéressants. En revanche, sur le fond du problème que représente l’évolution de la psychiatrie dans le cadre d’une société emportée par « la spirale économique libérale », comme le souligne le docteur Patrick Pelloux dans sa préface, l’analyse n’est pas assez fouillée pour être recevable en l’état.
Ainsi lorsque l’auteur affirme, certes avec justesse, qu’il y a un avant et un après Françoise Dolto, il y a fort à craindre qu’elle participe d’un amalgame entre psychothérapie et psychiatrie et qu’elle ramène de force vers le champ de la folie ce qui appartient désormais aux troubles du développement psychique. Enfin, le livre est clos par un dernier chapitre sur « l’exigence de la formation »… Nécessaire, sans doute, mais une fois encore trop court et trop superficiel pour dire la reconstruction à entreprendre en ce domaine. Un livre en demi-teinte donc, intéressant mais frustrant.
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