N° 812 | Le 12 octobre 2006 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Le défi que l’association nationale des placements familiaux a essayé de relever dans son dernier congrès dont les actes sont présentés ici, c’est bien l’articulation entre le temps judiciaire, le temps institutionnel et le temps individuel. Le temps judiciaire pose une triple mise à distance. Il permet de différer dans l’espace (le cadre de son intervention étant ritualisé), dans la durée (temporisation minimale de l’élaboration), dans l’instrumentalisation enfin (la justice fonctionne selon des règles et des références qui s’imposent tant aux juges qu’aux justiciables).
La justice des mineurs a particulièrement étiré le temps afin de tenir compte du caractère évolutif du mineur. Sans compter que la décision d’assistance éducative n’est pas l’aboutissement mais le point de départ de l’action judiciaire. Le temps institutionnel quant à lui implique de se donner les moyens d’évaluer, de comprendre la problématique familiale, d’élaborer le cadre, de construire et de mettre en perspective le projet et de permettre à chacun de se positionner. Et puis il y a le temps individuel qui cherche de plus en plus une réponse dans l’immédiateté.
Les modes de communication contemporains accentuent la tendance via Internet ou le téléphone mobile, ne donnant de place ni pour le retardé, ni pour l’écoute ou le recul, élevant le tout, tout de suite au rang de mode de vie. La justice a connu elle-même cette accélération avec ces procédures de saisine rapide du tribunal correctionnel qui sont passées de 47 % des cas en 1993 à 74 % en 2003. Le « bon temps », c’est le temps maîtrisé qui permet la prise de distance entre le fait générateur de l’intervention et une décision qui soit respectueuse de l’évolution de l’enfant et de sa famille ainsi que de leurs droits. Il joue alors un rôle de tiers libérateur de l’emprise, de médiateur des attentes. Le « mauvais temps » est celui subi du fait des contraintes (engorgement, vacances de postes, retards pris par les évaluations…) qui peut provoquer tant l’étirement que la précipitation excessive dans la prise de décision et son exécution.
Mais les situations de l’enfance en danger sont trop souvent confrontées à cette souffrance qui constitue une véritable pathologie du temps, donnant le sentiment d’être devant un mur tout autant infranchissable face à un présent qui n’en finit jamais que face à un avenir dont on est dépossédé, sans pouvoir construire aucun projet. Le placement familial s’oppose tout particulièrement à l’urgence, le travail de préparation s’avérant incontournable pour permettre à l’enfant de trouver sa place et à sa famille d’intégrer progressivement la nouvelle situation qui est faite. Pour autant, l’accueil lors de la séparation prendrait parfois une dimension moins dramatique si le cadre proposé évitait la collectivité : un défi à relever ?
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