N° 812 | Le 12 octobre 2006 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Dans un pays marqué par la pénurie des moyens de garde d’enfants de moins de trois ans, le métier d’assistante maternelle a un bel avenir devant lui. En 2001, on estimait en effet à 280 000 le nombre d’enfants ne bénéficiant pas d’un mode d’accueil et devant être reçus par la famille élargie ou chez des gardiennes non déclarées. Jusqu’en 1977, cette fonction de nourrice resta peu encadrée. Les lois de 1977 et 1995 lui accordèrent un statut. La récente loi de 2005 paracheva sa reconnaissance en distinguant deux corps de métiers : l’assistante maternelle proprement dite (qui accueille à la journée) et l’assistante familiale (spécialisée dans l’accueil permanent et à temps complet).
Née dans l’antiquité de la méfiance de l’allaitement maternel qui avait la réputation d’amollir le cerveau de l’enfant, la nourrice sera jusqu’au XIXe siècle choisie pour sa large poitrine et ses seins développés qui ne devaient être ni trop saillants, ni trop déformés : « On palpe, on tâte et on pénètre, rien ne doit échapper à la vigilance du recruteur » (p.27). Elle se voit imposer un rythme de vie dédié au nourrisson, excluant toute sexualité réputée refroidir l’affection qu’elle doit porter au bébé. Stigmatisée autrefois pour sa dimension mercenaire et mercantile (on lui reprochait ne travailler que pour l’argent), on la soupçonne paradoxalement aujourd’hui au contraire de s’attacher trop à l’enfant qu’elle accueille.
Véritable rengaine, cette suspicion est d’autant moins pertinente que l’enfant est tout à fait capable d’attachements multiples et sait bien distinguer sa mère de sa « tatie ». « L’attachement ne rend pas dépendant. Au contraire il permet à l’enfant rassuré une exploration de son environnement. C’est à partir d’une base sûre, fiable et sereine que l’enfant peut courir le risque de s’éloigner de son pôle de sécurité » (p.123). La méfiance à l’égard d’une motivation centrée sur de l’amour de l’enfant est en grande partie liée à la crainte de voir la fonction assimilée au simple maternage.
Or, accueillir un enfant qui n’est pas le sien est un véritable métier qui va bien au-delà de la simple garde d’enfants, impliquant des savoirs éducatifs et pédagogiques essentiels pour le développement du petit d’Homme. En l’absence des parents et en cohérence avec eux, il faut en effet inciter, encourager et gratifier chaque effort du bébé. Il faut aussi savoir interpréter, décoder ses émotions et ressentis. Une journée d’adulte n’étant pas une journée d’enfant et la temporalité de l’un n’équivalant pas à celle de l’autre, tout l’art de l’assistante maternelle consiste à être le passeur entre ces deux temps.
Là où l’éducatrice de jeunes enfants de la crèche favorise les capacités de raisonnement du bébé en évitant de trop intervenir et en lui permettant de réaliser ses propres expériences, l’assistante maternelle est plus dans l’action et l’interaction langagière, chacune privilégiant l’une des deux facette de l’éducation qui doivent rester en tension permanente (le guider et faire confiance dans ses compétences). C’est toute cette technicité qu’il reste à faire reconnaître.
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