N° 1269 | Le 17 mars 2020 | Critiques de livres (accès libre)
Choisir la bonne réponse
Afin de (se) convaincre que les jeunes radicalisés sont amendables, quand l’opinion courante les rejette dans une altérité irréductible, les travailleurs sociaux évoquent volontiers l’emprise et l’embrigadement dont ils seraient victimes. Pourtant, le succès d’une idéologie dépend avant tout de l’écho qu’elle produit avec les ressentis de ses potentiels adeptes. C’est cette corrélation que les deux auteurs établissent à partir de l’étude minutieuse de 166 dossiers éducatifs, d’une soixantaine d’entretiens avec des professionnels et de plusieurs audiences judiciaires. Malgré l’hétérogénéité des situations, la variété des faits, le degré inégal d’accomplissement et la fluctuation de la réponse publique, ils ont réussi à établir une typologie tout à fait utile. Même s’ils prennent la précaution de rappeler que les frontières ne sont jamais étanches, ils distinguent d’abord le groupe dit de la « radicalité apaisante ». Ce sont surtout des femmes qui recherchent une protection contre un environnement menaçant, la religion servant de guide et de cadre, fournissant des repères symboliques stables et étayants, apportant routine et prévisibilité dans un monde vécu comme instable. Second groupe, celui de la « radicalité rebelle » qui s’oppose, la provocation devenant une opportunité facile pour marquer sa contestation du cadre familial et institutionnel. Les attitudes intransigeantes et les propos outranciers n’ont alors d’autres fondements que d’ébranler l’autorité des adultes, l’exhibition d’une dangerosité potentielle permettant d’être pris au sérieux. Troisième catégorie, la « radicalité agonistique ». Coutumiers d’une délinquance qui les confronte traditionnellement aux institutions judiciaires et éducatives, ces jeunes trouvent dans l’extrémisme des valeurs familières fondées sur la force, le conflit violent et la brutalité des relations. Enfin, vient la « radicalité utopique » tendant vers la quête d’idéal. Pour ces mineurs issus de familles stables ayant privilégié leur scolarité, la conversion permet de substituer le projet parental de réussite sociale qu’ils n’ont pas réussi à réaliser par l’utopie d’une communauté mythifiée, censée leur permettre de redéfinir leur position sociale, de résoudre leurs problèmes, de gagner leur autonomie… Pour n’être pas facile, l’identification du registre dans lequel un jeune s’inscrit apparaît utile pour adapter sa réponse.
Jacques Trémintin
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