N° 1204 | Le 30 mars 2017 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
782 pages sans un seul instant d’ennui. Articulant essai et reportage, le livre de Martín Caparrós est passionnant. Du Niger à l’Argentine en passant par l’Inde ou encore les États-Unis, l’auteur enquête sur un fléau qui tue trois millions d’enfants par an, huit mille par jour, cinq par minute. Plus que le sida, la tuberculose et la malaria réunis ! Alors que les progrès de la révolution verte permettraient de nourrir 12 milliards d’êtres humains (le double de la population actuelle), 800 à 900 millions d’habitants de cette Terre souffrent de sous-alimentation, de dénutrition, de malnutrition structurelle, d’insécurité alimentaire… en un mot, ils crèvent de faim.
Les causes de ce scandale planétaire sont multiples. L’auteur les énonce page après page. Les États-Unis consacrent chaque jour 1,76 milliard à son budget militaire et le monde a investi 3 000 milliards de dollars en 2008 pour sauver ses banques. Or, selon le FAO, 300 milliards de dollars annuels suffiraient à éradiquer la famine en une décennie. Exactement le montant de la subvention versée chaque année par l’Occident à son agriculture pour la rendre concurrentielle sur le marché mondial. Ruinés par cette compétition, les agriculteurs des pays pauvres sont incités à se tourner vers les cultures d’exportation au détriment des productions vivrières. C’est aussi ce à quoi sont consacrées les terres achetées par les pays riches : 56 millions d’hectares en 2010. En 2013, le monde produisait 85 milliards de litres d’éthanol, contre 17 milliards en 2000 : les 170 kg de maïs nécessaires pour remplir un seul réservoir d’agrocarburant, permettraient à un enfant affamé de survivre une année.
Alors que pendant des millénaires, l’espèce humaine consomma exceptionnellement de la viande, l’Occident la place au centre de l’assiette, les vibres végétales devenant un complément. Or, il faut dix calories végétales pour obtenir une calorie de vache et 15 000 litres d’eau pour en obtenir un kilo (contre 1 500 litres pour un kilo de maïs). Ajoutons que la nourriture a été financiarisée au même titre que le pétrole ou l’or. La spéculation, jouant sur les cours du bétail, du café, du cacao ou du blé, est responsable de hausses de prix spectaculaires : la nourriture a augmenté de 80 % entre 2005 en 2008, provoquant plus de quatre vingts émeutes de la faim. « En finir avec la faim, c’est changer de modèle » (p. 766) conclut l’auteur. Sans aucun doute.
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