N° 1139 | Le 17 avril 2014 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Il n’est pas fréquent que les auteurs qui alimentent la réflexion dans le monde de l’éducation spécialisée se livrent ainsi, en décrivant leur propre cheminement. Romuald Avet est de ceux-là. Cet itinéraire qu’il nous décrit s’identifie à celui de toute une génération. Certes, il n’est pas commun qu’un éducateur devenu formateur confie son passé d’adolescent placé. Des parents soucieux d’ordre, de discipline et de conformité sociale. Des dérèglements du comportement interprétés comme des inadaptations à régler loin du milieu familial. Le séjour dans un institut de rééducation lui fera connaître les coups, l’isolement et l’humiliation ; la force et la contrainte physiques étant alors instituées comme seules réponses éducatives face aux situations limites.
Mais il y rencontrera aussi des figures de suppléance parentale en la personne de l’un de ses éducateurs et d’une lingère, le lien de confiance institué avec ces tuteurs de résilience le marquant durablement. Son orientation vers le métier d’éducateur spécialisé, il la construira en opposition avec son vécu d’adolescent. Nourri par la lecture de Libres enfants de Summerhill, il ira à la rencontre du père Silva, fondateur de la république d’enfant des Muchachos, et de l’école de Bonneuil de Maud Mannoni. Ces différentes expériences influenceront son orientation professionnelle à jamais. Il adoptera la psychanalyse non comme un évangile, mais comme une grille de lecture pour éclairer une pratique, penser ce qui s’y passe et renoncer à vouloir exercer une quelconque maîtrise. Elle lui permettra ainsi de mieux comprendre les chahuts que lui feront vivre certains groupes d’enfants, comme une épreuve pour tester la fiabilité d’un lien suffisamment bon et contenant dans la durée. Considérant les symptômes comme un langage, il leur permettra d’exprimer leur malaise sans craindre de représailles.
Patiemment, Romuald Avet s’engagera pour inverser des pratiques si courantes dans les établissements du secteur, consistant à confisquer la parole des usagers. Travailler à faire de l’enfant non plus seulement l’objet des décisions des adultes, mais un acteur à part entière de la relation éducative, tel sera son combat. Si les années 1970 furent propices au développement du travail médico-social, fortement marqué par un militantisme actif en faveur du changement social, la modernité secouée par les crises de la mondialisation libérale est obnubilée par la gestion technocratique et l’objectivation scientifique. Aujourd’hui, ce n’est plus la clinique qui soutient l’acte du praticien. On lui demande d’intérioriser des protocoles et des procédures et de se soumettre à une évaluation servant à formater et à encadrer, à contrôler et à normaliser. Mais les enjeux d’émancipation et d’humanisation du travail social subsistant, l’entrée en résistance reste encore d’actualité.
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