N° 1168 | Le 3 septembre 2015 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
La liberté sans expression • Jusqu’où peut-on tout dire, écrire, dessiner ?
Emmanuel Pierrat
Longtemps inconcevable en des temps où la tyrannie dominait, la liberté d’expression est née avec les Lumières et les droits de l’Homme. Ce principe, pourtant corollaire incontournable à toute démocratie, en ce qu’il garantit le pluralisme des opinions, est devenu de plus en plus illisible sous le flot des centaines de textes de lois imposant sa limitation. Emmanuel Pierrat, avocat spécialiste de la propriété intellectuelle, nous propose une énumération non exhaustive de ces exceptions légales : la diffamation, l’injure, le respect de la vie privée, le droit à l’image, la pornographie, la présomption d’innocence, le racisme, le négationnisme, l’apologie du terrorisme… Si un seul comportement délictueux a été retiré de la liste (« incitation de militaire à la désobéissance et de provocation au meurtre dans un but de propagande anarchiste » voté en 1894 et aboli en 1992), il ne se passe pas une année sans qu’une nouvelle restriction ne soit créée.
À ces interdictions légales s’ajoute une évolution contemporaine notable : la traditionnelle censure officielle qui se faisait gardienne de la morale et des bonnes mœurs a été remplacée par le menace de dépôt de plainte de la part de groupes intégristes réclamant des dommages et intérêts. Si le héros d’une fiction est pédophile, néo-nazi ou serial killer, mieux vaut qu’il fasse acte de repentance, au dernier chapitre, sous peine de voir l’œuvre menacée de procès. Il est difficile de savoir ce qui peut être dit, écrit, chanté, dessiné ou filmé, la consultation d’un avocat spécialisé devenant incontournable, pour éviter les risques d’un procès toujours coûteux, quel qu’en soit le résultat. La liberté d’expression est une valeur bien malade qu’il faut soigner d’urgence, conclut l’auteur qui rêve d’une autorisation à tout publier accompagné de l’obligation d’une préface contradictoire.
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