N° 701 | Le 18 mars 2004 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
On sait les positions en la matière tranchées. D’un côté, on trouve les réglementaristes pour qui la possibilité de disposer de son corps relève du droit inaliénable de tout un chacun et qui opèrent une distinction entre la prostitution contrainte et forcée et celle qui est librement choisie. S’ils sont tout à fait d’accord pour combattre la première, ils considèrent qu’il faut reconnaître la seconde comme un travail à part entière qui doit bénéficier de droits. Ils sont persuadés que dans tous les cas, c’est un phénomène trop fortement ancré socialement et historiquement pour qu’on puisse le faire disparaître par simple interdiction. D’où la pertinence de sa réglementation qui permet de fixer des modalités d’exercice destinées à faire respecter des conditions sanitaires et humaines qu’aucune clandestinité (qu’entraîne sa condamnation à l’illégalité) ne garantira jamais.
Tout autre est la position des abolitionnistes qui s’appuient sur la « Convention pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui » signée le 2 décembre 1949 par l’assemblée générale des Nations Unies qui affirme : « La prostitution et le mal qui l’accompagne, à savoir la traite des êtres humains en vue de la prostitution, sont incompatibles avec la dignité et la valeur de la personne humaine ». Les défenseurs de la prohibition de toute prostitution proposent, eux aussi, des arguments chocs : « Parlerions-nous d’esclavage forcé, de viols forcés, d’apartheid forcé… ? Évidemment non, simplement parce que la contrainte est intrinsèquement inhérente à ces termes ; il en va de même pour la prostitution » (p.22). Et de revendiquer une lutte implacable contre le proxénétisme et la mise en place de dispositifs de prévention et de réinsertion sociale.
La monographie que nous propose ici la Fondation Scelles est certes marquée par l’orientation de cette institution dont le but consiste à faire reculer l’exploitation sexuelle sous toutes ses formes. Mais ce parti pris ne nuit d’aucune manière au sérieux et à la qualité documentaire d’une étude qui passe en revue le statut de la prostitution dans chacun des pays européens de la CEE et de l’ancien bloc de l’Est. La prostitution peut être définie comme un contact sexuel (ce qui va au-delà du seul rapport) obtenu contre toute forme de bénéfice économique (qui peut aller des cadeaux accordés à la femme entretenue jusqu’à la paix que recherche la femme mariée en cédant aux pressions de son mari, en passant par la rémunération proprement dite) et ce dans une logique répétée et habituelle.
Les auteurs remarquent que cette prostitution ne doit pas être perçue au travers du seul prisme individuel, mais à partir de la chaîne de trois acteurs : la personne prostituée, le client et le proxénète. Reste le triptyque terrifiant qui cerne les prostitué (e) s dont on peut identifier des racines (agression sexuelle ou carences affectives dans l’enfance), des causes (économiques ou dépendance aux drogues) ainsi que des conséquences (graves dommages psychologiques assez fréquents et problèmes physiques courants).
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