N° 1164 | Le 28 mai 2015 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
La sécurité sociale, telle que nous la connaissons aujourd’hui est née d’une ambition originelle (assurer une protection à partir non d’une appartenance catégorielle, mais citoyenne) et d’un projet de société (fondé non sur la seule responsabilité individuelle mais sur la solidarité). Mais elle est surtout le produit du constat d’échec du libéralisme triomphant, tout au long du XIX° siècle, dont la prétention à laisser les rapports sociaux se réguler spontanément et produire par eux-mêmes la justice sociale s’est révélée un fiasco. La doxa d’une propriété privée comme source de la liberté individuelle et l’abstention de l’État comme moyen de cette liberté ayant amplement démontré sa dimension illusoire, il fallait répondre aux profondes inégalités ainsi entretenues et établir la sécurité à laquelle a droit tout citoyen face aux aléas de la vie en société.
Trois lois d’assistance sont votées, par la III° République, entre 1893 et 1905 : assistance médicale gratuite, service des enfants assistés et assistance aux vieillards. Puis, entre 1910 et 1932, trois autres s’attaquent aux circonstances de l’existence menaçant le salarié : retraites ouvrières et paysannes, assurances sociales et allocations familiales. Mais, il faudra attendre la Libération pour que le principe de la cotisation obligatoire, remis en cause avant-guerre, s’impose aux salariés et aux employeurs, rendant ainsi possible une protection véritable. Si le pouvoir tutélaire du patron se trouve contrecarré par l’État social naissant, il en va de même pour l’individu qui se trouve ainsi dépossédé, pour son bien, de la faculté de toujours savoir ce qui est bien pour lui. Un nouveau triptyque émerge, articulant le citoyen, la société et la puissance publique chargée d’une triple mission : faire prévaloir l’intérêt collectif sur l’intérêt privé, garantir la sécurité de l’individu et de sa famille et redistribuer les revenus. Le bilan du nouveau dispositif s’avère rapidement spectaculaire : redressement de la natalité, relèvement et réorganisation du système de santé et répartition infiniment plus juste des ressources.
Pourtant, les forces néo-libérales n’ont pas renoncé et les critiques, un temps inaudibles, refont surface à l’occasion de la crise : la restriction faite à la liberté de choix de chacun le rendrait aveugle à son propre intérêt. La revendication de responsabilisation individuelle revient en force, avec son corollaire, la logique assurantielle. Le principe des retraites par capitalisation prétend remplacer celui par redistribution. La place de la prévoyance complémentaire dévolue aux assurances personnelles s’accroît. Le rôle politique de l’État est remplacé par une fonction, avant tout, gestionnaire. La sécurité sociale est à la croisée de chemins : est-elle un droit de l’homme contre l’insécurité sociale ou une charge freinant la croissance économique ?
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