N° 1275 | Le 9 juin 2020 | Par A. G., éducateur spécialisé | Espace du lecteur (accès libre)
Louis à 7ans, il est arrivé depuis quatre ans au foyer d’observation, là ou normalement les enfants restent en moyenne entre 6 et 18 mois.
Oui mais, voilà, Louis a des troubles très importants. Il fait des cr9ises, il mord, tape, crie, pince, tire les cheveux, insulte à longueur de journée.
Nous mettons alors, nous éducateurs,
tout ce qui est en notre possible pour apaiser cet enfant. Temps individuels repérés, chambre individuelle privilégiée, présence d’un adulte supplémentaire. Puis les orientations, d’abord médicales avec la mise en place d’un hôpital de jour, éducatives ensuite, avec la présence d’une famille d’accueil afin qu’il ait des
temps hors collectif nécessaires à son développement, mais aussi avec le travail en partenariat avec une association qui l’accompagne sur des temps de loisirs seul et une multitude d’autres choses…
Les années passent. Le comportement de Louis reste difficile, mais le maillage éducatif que nous avons mis en place tient à peu près. Le peu de lien avec la famille fonctionne, les divers lieux, où il se rend, tiennent bon.
Puis un jour, le confinement arrive. La famille d’accueil s’arrête, l’hôpital de jour réduit ses heures de présence, l’école disparaît même si celle-ci
était compliquée. Louis va de plus en plus mal au fil des semaines, sa présence au milieu d’autres enfants lui est insupportable. Il fait des crises, tous les jours, plusieurs fois par jour. Il nous frappe, de plus en plus fort et surtout il s’attaque aux autres enfants qu’il
met à mal quotidiennement. Les autres n’en peuvent plus. Et ils nous le disent…
« On ne peut jamais rien faire quand il est là, parce que tous les éducateurs s’occupent de lui » « il m’a encore frappé ». Les enfants sont très mal en sa présence et ne savent pas ce qu’il va leur arriver.
Les jours passent, le comportement devient très inquiétant. Nous interpellons l’hôpital, sans obtenir de réaction particulière, mais aussi l’ASE qui ne trouve pas de solution non plus. Maintenant, cela fait quatre ans que nous essuyons les plâtres, que nous tentons tout ce que nous pouvons pour permettre à cet enfant d’aller le mieux possible et voilà que, devant nos yeux, il sombre à nouveau… C’est difficile de voir le bateau couler devant ses yeux, lorsque nous l’avons « réparé » et « remis à l’eau » tant de fois.
J’ai parfois, en tant qu’éducateur, la sombre vision que nous sommes collés à cette société de l’immédiateté et que nous en oublions de prendre des décisions sur la durée. Comment réussir à protéger cet enfant ? Avons-nous tout fait pour l’aider ? Je pense que nous devrions avoir une idée globale de ce qui va arriver à ce petit garçon pour le reste de son enfance. Cela m’exaspère qu’on ne trouve pas de place en hôpital psy du fait de son âge, pas d’hospitalisation possible lorsqu’il touche le fond. Qu’attendons-nous ? Qu’il grandisse avec tout ce mal être ? Et après ? Je ne suis pas compétent dans la prise en charge d’un enfant qui montre de tels comportements dans un dispositif tel que le foyer. Ce n’est tout simplement pas sa place.
J’ai la certitude de savoir ce qui permettrait à cet enfant d’être bien et de pouvoir grandir dans les meilleures conditions même si les meilleures solutions qu’on pourrait trouver ne seraient pas toujours parfaites. Mais, on se heurte là encore au plus gros fléau du travail social, le partenariat/réseau. Chacun dans notre coin, nous n’arriverons à rien pour des cas aussi spécifiques que celui-ci. Qu’on se mette autour d’une table, nous les éducateurs qui vivent au quotidien avec lui, ainsi que les cadres qui dirigent et doivent prendre des décisions. Arrêtons d’attendre que les maux prennent une telle dimension et qu’il devienne impossible de les accompagner.
La loi de 2007 a maintenant treize ans et je ne vois pas sur le terrain où se trouvent tant la diversité d’accueil que l’enfant au centre du projet etc. On peut bien faire autant que l’on veut de Projets personnels individualisés ou Projets pour l’enfant ou autres sigles, mais rien ne tout cela ne permettra aux enfants un quotidien plus heureux. Qu’on sorte enfin du cadre, nous les éducateurs, afin de pouvoir faire rentrer ceux qui n’y ont pas leur place.
À force de faire les choses à moitié, on va finir par croire que les éducateurs sont comme les chats, ils ont sept vies….