N° 1028 | Le 1er septembre 2011 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Le handicap au risque des cultures. Variations anthropologiques
Sous la direction de Charles Gardou
De publication en publication, Charles Gardou laboure avec intelligence les différents terrains que recouvre le handicap. Dans cet ouvrage, il a sollicité des chercheurs des cinq continents, pour comprendre comment la fragilité de l’être humain était prise en compte à travers le monde. On constate une grande variation d’une culture à l’autre et à l’intérieur d’une même culture, d’un endroit à un autre et d’une époque à une autre.
Il y a tout d’abord la prégnance de la perception du handicap, comme la conséquence des relations que la personne concernée et sa famille entretiennent avec le reste de la société et le monde en général. Ainsi, chez les Kanaks de Nouvelle Calédonie, les malheurs quels qu’ils soient (déficiences physiques autant que les maladies, les accidents ou les catastrophes naturelles) sont des sanctions prises par les ancêtres, à cause d’une faute commise. Aux Îles Marquises, les handicaps sont perçus comme des manifestations de la colère divine, provoqués par la violation des tabous. Au Congo, ils sont considérés comme l’agissement d’une personne envieuse et malveillante nuisant à ses victimes par des moyens surnaturels.
Le traitement de la déficience passe après la réparation de la faute commise, l’intercession d’un médiateur chargé de calmer la colère divine ou la conjuration du mauvais sort. Mais la victime du malheur peut tout autant être le stigmate de l’infamie, que l’élue de la divinité. Chez les Inuits, la vocation chamanique était réservée à ceux qui étaient atteints d’infirmité physique, considérée comme pourvoyeuse de surcapacités. Au Sénégal, la personne handicapée se situe dans un rôle d’intermédiaire entre le visible et l’invisible, entre l’humain et le divin, participant ainsi du sacré.
Des nations méprisent le handicap, comme le Brésil ou le Portugal, en l’appréhendant avec les pires préjugés, pendant que d’autres, comme la Norvège, le traitent avec le plus grand respect, cherchant à inclure ceux qui en souffrent au reste de la société. Les Inuits considèrent qu’adopter des gestes inappropriés à l’égard des personnes déficientes ou se moquer d’elles, c’est prendre le risque d’attraper le même mal et d’être condamné à le transmettre à ses descendants. L’Amérique du Nord connaît quant à elle, une revendication communautariste des personnes malentendantes qui considèrent l’affection dont elles souffrent non comme un manque, mais comme une variation de ce qui est humainement possible. Nos façons de penser et de prendre en compte le handicap procèdent de l’imaginaire culturel dans lequel nous baignons. Peut-on repérer néanmoins une constante ? Laissons à Charles Gardou, le soin de formuler cette synthèse.
Du visage kaléidoscopique de la vie humaine et de la multiplicité de ses univers, il ressort que la chose la mieux partagée au monde, c’est le désarroi angoissé des humains face à leur vulnérabilité et leur tentative pour l’esquiver, la conjurer et l’évacuer.
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