N° 1028 | Le 1er septembre 2011 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
On retrouve dans cet ouvrage la justesse et la pertinence du regard que porte Charles Gardou sur le handicap. La médiation entre le sujet handicapé et son environnement requière un savoir-faire éprouvé et maîtrisé, explique-t-il. Le savoir-être des professionnels qui la mettent en œuvre surfe en permanence sur la brèche, au cœur du combat éternel que se livrent le sens et le non-sens, les puissances de vie et les forces de mort, la volonté de réparer et l’impossibilité de guérir.
Même s’ils ont choisi ce métier à partir d’un idéal de réparation, ils doivent l’accepter : ni la formation, ni l’expérience, ni les connaissances les plus affûtées ne suffisent à restaurer l’humain et à neutraliser sa détresse, ni à donner corps au rêve démiurgique de régler les ressorts cassés de la machine. Le face à face avec l’irréductible étrangeté d’autrui déstabilise, bouscule et désarçonne, avec le risque de deux dérives potentielles : désespérer de toute perspective de progrès et s’acharner à vouloir redresser et rendre conforme à la norme, en occultant le handicap. Et si seule la compassion garantit contre la déshumanisation, elle se heurte aux ressentis encombrants que constituent la pitié et la mauvaise conscience, le dégoût et la rage, la gêne et l’impuissance, tout autant que la culpabilité d’être en bonne santé.
L’auteur a sollicité douze professionnels aux prises avec le handicap, pour leur demander de donner à voir et à comprendre leurs sentiments, leurs attitudes, leurs attentes, que ceux-ci soient emprunts de courage et de détermination ou de fragilité et de faiblesse. L’attente était que « des propos authentiques et enracinés se substituent aux doctes théorisations ». Le résultat est loin d’atteindre l’ambition affichée. Nos penseurs et praticiens se sont, pour l’essentiel, préservés, en s’attelant à l’exercice qu’ils savent le mieux faire : s’adonner à la dialectique conceptuelle. Ce qui leur a permis d’éviter de se livrer.
Il y a bien Nicole Diederich, qui nous confie cet épisode de son parcours qui l’a mise en contact avec deux jeunes handicapés l’interrogeant sur ce qu’elle aurait fait si elle-même avait été enceinte d’un enfant porteur d’une déficience grave : aurait-elle avorté ? Sa réponse franche et sincère l’a plongée, face à ses deux interlocuteurs, dans l’embarras et la confusion. Il n’est pas donné à tout le monde de se décrire ainsi fragile et hésitant, parfois. La plupart des autres contributeurs se montrent bien moins aptes à douter et à se laisser interpeller jusque dans leurs défenses. Le mythe du professionnel capable de tout supporter, sans manifester le moindre signe de faiblesse est encore tenace. Dommage.
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