N° 646 | Le 12 décembre 2002 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Comment parlait-on de la délinquance juvénile, il y a de cela cinquante ans ? François Marty nous propose ici sept textes de psychanalystes. Certains d’entre eux analysaient cette réalité comme le produit, avant tout, d’une perversion à caractère antisocial. Ainsi, Fritz Wittels (1880-1950) de relier le vol à l’attente désespérée du lait de la mère ou la kleptomanie à une forme indirecte de la masturbation ou encore attribuant le crime à un ancrage au stade phallique (sic).
D’autres étaient déjà convaincus que lorsque les assises narcissiques de l’enfant ont été fragilisées par une confrontation avec un environnement précoce défaillant ou maltraitant, le traumatisme pubertaire pouvait alors déborder les capacités d’élaboration de l’adolescent et le pousser à projeter la violence liée à l’effraction sur des objets extérieurs vécus comme persécuteurs ou menaçants. La thérapie, pensaient-ils, devait être fondée sur la carence affective.
Ainsi Kurt R. Essler (1908-1999), conseillant de coller à l’image de la mère qui distribue librement son abondante nourriture, qui accorde sans compter ses efforts, son amour et son attention à l’enfant dès qu’il en manifeste le besoin, sans jamais rien attendre en retour sinon la santé et le bien-être de son enfant. Cela se traduit, face au délinquant, par l’attribution de sommes d’argent accordées par surprise, sans que ce soit pour une fois le produit ni de sa demande, ni de ses menaces, ni de son chantage. Kurt R. Essler de convenir, néanmoins, des risques de passages à l’acte violent du patient si une telle approche n’était pas soigneusement mise en ?uvre ! Il s’agit là d’instaurer une forte dépendance affective permettant de soumettre ensuite à la frustration et à l’identification à l’autorité, ce qui devait (ou pouvait) déboucher sur une phase plus classique d’analyse.
Très attentif à la psychologie des bandes, Fritz Redl (1902-1999), explique, de son côté, comment le Surmoi individuel est supplanté par le Surmoi collectif lié au code groupal, et incite les thérapeutes à vivre avec les jeunes des moments de leur vie pour aider au travail psychique susceptible de relancer le processus de subjectivation en panne. De telles audaces à l’égard de l’orthodoxie, qui rapprochent, reconnaissons-le, l’action du thérapeute de celle de l’éducateur spécialisé, sont contestées par les psychanalystes contemporains chargés dans l’ouvrage de commenter ces textes anciens.
La fragilité des symptômes de l’adolescent, la difficulté à observer ses processus internes et à reconnaître les souffrances occasionnées par ses troubles poussent Annie Birraux à rejeter la possibilité pour les adolescents d’accéder au processus de cure analytique. La solution résiderait alors bien plus dans les mesures psychothérapeutiques, éducatives ou de soutien, les besoins se situant plutôt du côté de l’étayage que de la verbalisation qui est souvent relayée à cet âge par la stimulation sensorielle, l’activité et le passage à l’acte.
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