N° 937-938 | Le 16 juillet 2009 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Serge Tisseron est l’initiateur d’une pétition soutenue pas 30 000 usagers, appelant à se mobiliser contre la télévision destinée aux enfants de moins de trois ans. Il nous propose ici un argumentaire des plus édifiants sur ces chaînes comme « Baby first » ou « Baby TV » qui prétendent jouer un rôle à la fois d’éveil et de médiateur tranquillisant, mais qui s’avèrent en réalité des plus dangereuses. Ce n’est pas la télévision en tant que telle qui est stigmatisée, car elle peut s’avérer à la fois un excellent divertissement, un extraordinaire moyen de découverte du monde et un support d’échanges au sein de la famille. Ce sont ces bienfaits pour les bébés qui sont mis en doute.
Première explication avancée : le bébé est pris dans un monde d’odeurs, de bruits, d’impressions lumineuses et de perceptions corporelles dont il ne différencie pas l’origine. C’est à partir d’un engagement moteur lui permettant de manipuler les objets qu’il va réussir à distinguer entre le visuel, l’auditif, le sensoriel et le cognitif. Ce que ne lui permet pas de faire un écran qui lui offre une simple réalité virtuelle.
Second argument : ce sont les interactions qui font l’enrichissement de l’image, ces échanges étant le creuset des relations qui se tissent avec l’entourage. Les mots, les commentaires, sont essentiels pour médiatiser ce qu’il voit. Placé seul face à l’étrange lucarne destinée à servir de nounou, il est privé de cet échange pourtant essentiel pour intégrer la charge émotionnelle qu’il a encore le plus souvent du mal à gérer. Car, tout est décontextualisé : les actes ne sont pas nommés, pas plus que les ressentis. Mais, on peut tout autant évoquer la rupture de la boucle de rétroaction : quand le bébé sourit à un adulte, celui-ci lui sourit à son tour. Rien de tel avec la télévision, un sentiment d’abandon pouvant même survenir quand un changement de plan vient casser l’échange que le bébé croit engager.
Autre élément : c’est au travers du jeu et de l’expérimentation du faire semblant et de l’imitation de celles et ceux qui sont en rapport avec lui, que le bébé élabore son fonctionnement psychique, non grâce au flux ininterrompu des images. La télévision lui impose un modèle identificatoire figé, puisque déshumanisé. Précocement captivé et hypnotisé par le rythme rapide des couleurs et des sons, le bébé apprend à trouver en dehors de lui les stimulations dont il a besoin, avec le risque de continuer à le faire en grandissant. Donc rien d’éducatif, ni de bienveillant dans ces chaînes de télévision qui sont faites « pour les actionnaires et non pour les téléspectateurs » (p.81). Pour Serge Tisseron, la télévision avant trois ans menace les acquisitions cognitives. L’enjeu est surtout commercial et concerne le gigantesque marché de produits dérivés que peut receler le public en bas âge.
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Ligue des droits de l’homme, sous la direction de Jean-Pierre Dubois & Agnès Tricoire