N° 558 | Le 4 janvier 2001 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Jamais l’enfance n’a eu autant de place et paradoxalement, jamais elle n’est apparue aussi seule. La question de la solitude enfantine n’est quasiment pas abordée ou étudiée, un peu comme si cette problématique disparaissait derrière le thème récurrent de la maltraitance, lui, largement traité. Cette solitude se manifeste de façons bien différentes : rareté des rapports avec les parents ou pauvreté du contenu de ces relations, responsabilité confiée de manière prématurée, voire inversion des rôles de protection entre les adultes et les enfants. Elle peut se résumer en une « absence prolongée répétée ou régulière dans leur entourage de personnes stables, capables d’entretenir avec eux des relations durables et historiquement suivies » (p.27).
Quand un enfant se sent seul, ce qu’il vit relève d’un processus de repli et de centration sur soi qui se déroule tant dans sa famille qu’à l’école ou dans son quartier. C’est tout un faisceau de circonstances qui sont à l’origine de cette situation : sociales et individuelles, conjoncturelles et structurelles. Les conséquences ne sont guère positives : l’enfant est tenté soit par des réactions de provocation soit de quête affective, de régression vers le tout petit (censée provoquer chez l’adulte une attitude protectrice) soit au contraire un comportement de type adolescent (fait de séduction et de mystère). L’autonomisation affective, sociale et relationnelle s’en trouve freinée : on peut d’autant plus facilement être seul qu’on a vécu une précédente période de dépendance réussie. L’apprentissage est souvent bloqué : on ne progresse vraiment que si on a quelqu’un pour qui progresser.
Face à un tel public d’enfants, l’attitude des professionnels est souvent perturbée par la crainte de développer une implication personnelle et affective. Alors même que ce dont ont besoin ces enfants, ce n’est pas tant d’une activité mais de l’établissement d’une relation, qu’au travers de l’action engagée on s’intéresse un peu à eux. Toute une série de comportements s’imposent alors : individualiser la relation, en sachant équilibrer la vie de groupe et des moments plus particuliers avec l’enfant, instaurer une proximité avec lui et surtout adopter une attitude constante et fiable qui rétablisse un lien de confiance. Il est fréquent de regarder d’un mauvais ?il l’activité développée dans la rue : il apparaît tout au contraire important de mettre à la disposition des enfants d’un quartier des référents stables qui puissent être dehors avec eux.
Le mythe du risque zéro et la crainte de la responsabilité sont un frein aux initiatives en la matière. Alors que ce sont justement les enfants qui restent enfermés chez eux qui sont les plus fragilisés. La sécurité effective passant par la sécurité affective, il revient aux adultes d’aider l’enfant à réunir en lui-même les ressources nécessaires pour lui permettre de ne pas s’offrir comme victime.
Dans le même numéro
Critiques de livres