N° 789 | Le 16 mars 2006 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Les pupilles de l’État étaient 100 000 en 1950. Ils ne sont plus que 3000 aujourd’hui. Les adoptions plénières internationales constituent 80 % des 5000 enfants accueillis dans une nouvelle famille, chaque année. Ce qui était encore dans les années 1980 un acte humanitaire (si ce n’est charitable) est devenu dans la décennie suivante une solution à la stérilité des couples. Bien sûr et heureusement, il existe de nombreuses histoires d’adoption à l’étranger qui sont heureuses et qui parviennent à construire les conditions de l’inscription dans un néo-lien de filiation. Mais la proportion de plus en plus importante d’enfants adoptés à l’étranger, nécessitant une prise en charge pédopsychiatrique ou soumis à une procédure de la justice des mineurs, justifie qu’on rompe le tabou des difficultés rencontrées.
Non, l’amour n’est pas suffisant pour tout résoudre. Un contrat fonde la relation parent/enfant : les premiers font le don de la vie et de leur disponibilité, quand les seconds font le contre don de prolonger le cycle des générations et d’assumer un héritage tant matériel que symbolique. L’adoption en général constitue un premier accroc en ce qu’elle idéalise l’enfant chargé d’une mission : réparer la blessure narcissique du parent qui ne peut engendrer. L’enfant victime devient alors l’enfant merveilleux. Mais s’il ne réussit pas à remplir sa tâche, il se transforme en enfant monstrueux.
Cet échec vient signer une double souffrance. Celle de l’enfant qui voit se réactiver la problématique initiale de l’abandon : n’être pas suffisamment aimable. Celle de l’adulte qui voit s’effondrer sa position de sauveur et de bon parent. L’adoption internationale égratigne encore plus la relation d’équivalence au cœur de l’économie familiale. Nécessitant une disponibilité importante, un engagement sans faille et des moyens financiers conséquents, se pose parfois la question du retour sur investissement. La transaction financière qui intervient en outre fréquemment fait entrer le lien qui doit se nouer dans une catégorisation marchande. L’enfant peut alors être pris dans l’argent qu’il coûte ou qu’il a coûté.
Autre difficulté : le profond fossé culturel et social qui existe entre l’enfant adopté et sa nouvelle famille. On évalue à 80 % la proportion d’adoptants appartenant aux couches supérieures de la société, les enfants qu’ils reçoivent arrivant des milieux les plus misérables des pays d’origine. De cette situation peuvent surgir deux dérives. Il y a d’abord l’idéalisation de la dimension exotique et mythique du pays de provenance à tel point magnifié que l’enfant adopté ne peut plus faire lien avec sa nouvelle famille et sa nouvelle culture. À l’inverse, il peut être l’objet de projections telles que sa destinée est assignée aux caractéristiques du pays d’où il vient (le calme des enfants asiatiques, la turbulence des enfants d’Amérique du Sud…). Forts de ce constat de risques, les auteurs concluent à la nécessité d’accompagner de façon bien plus longue l’adoption internationale.
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