N° 1163 | Le 14 mai 2015 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Que n’entend-on pas sur cette autonomie qui, de droit à conquérir, de cheminement progressif jamais totalement accompli est devenue une injonction, un ordre et une contrainte, l’obligation de moyens se transformant en obligation de résultats. Ce concept un peu lisse et potentiellement d’autant plus vide qu’on peut lui faire dire ce que l’on veut subit ici une mise en coupe réglée tout à fait salutaire. Pour qu’il y ait autonomie, il faut que se manifeste une aptitude à faire, à agir et à créer, à vivre parmi les autres, à identifier et à assumer ses émotions et à réussir à comprendre ses propres réactions et celles des autres. Postuler que tout sujet présente d’emblée ces capacités, c’est refuser de voir qu’elles peuvent n’être que potentielles ou gravement altérées. C’est surtout faire la part belle à l’idéologie néolibérale qui prétend que l’être humain doit s’autodéterminer, s’auto engendrer et donc se prendre en main totalement.
Alors que la dépendance à autrui constitue le fondement de notre existence individuelle et collective et que la meilleure voie pour l’autonomie n’est ni l’indépendance, ni l’émancipation, mais la capacité à gérer ses dépendances et ses interdépendances. Trouver l’équilibre entre les mouvements centripètes (en direction d’autrui) et les mouvements centrifuges (plus centrés sur soi) constitue le cœur de la démarche éducative. Il en va de même pour la relation soignant/soigné, la prétention à une pseudo relation d’égalité marquée par une négociation contractuelle pouvant s’avérer préjudiciable à la sécurité du plus faible. L’autonomie du sujet, la responsabilisation du patient tout comme l’individualisation des projets sont des concepts qui, voulant rendre l’anormal normal, en exigeant que chacun soit capable, ignorent les fragilités à l’œuvre et condamnent à être comptable de ses propres errances.
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