N° 662 | Le 17 avril 2003 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Les passions tristes - Souffrance psychique et crise sociale
Miguel Benasayag & Gérard Schmit
Au fil de l’histoire, les formes de la plainte et de la souffrance ont changé. Notre époque est marquée par toute une série de mutations qui constituent le contexte dans lequel se manifeste la difficulté à vivre. Premier choc : la rupture téléologique prenant la forme de la fin de la croyance en un avenir meilleur. On est passé d’une confiance quasiment aveugle dans l’avenir à une défiance tout aussi systématique. La conviction en un progrès inéluctable s’est effondrée. Seconde cassure : la rupture du lien asymétrique entre les générations. La conséquence essentielle tient dans le fait que les plus jeunes ne reconnaissent plus l’autorité des adultes, la contestation de la hiérarchie apparaissant comme l’une des seules forme d’émancipation et de liberté. Troisième transformation essentielle : l’humanité se présente à travers une vision utilitariste, comme une série d’individus isolés, entretenant d’abord des relations contractuelles et de rivalité, faisant passer au second plan les affinités électives et de solidarité (familiale et autres). Celui qui veut gagner doit écraser l’autre.
Ces caractéristiques marquent profondément le rôle des thérapeutes à qui l’on demande une efficacité immédiate et une réponse dans l’urgence. On leur reproche facilement d’être partout tout en n’hésitant pas à les invoquer à tout instant. Ce paradoxe est à relier d’abord aux difficultés à assumer l’angoisse sans avoir recours à la technique. Mais il y a aussi la dérive qui consiste à relier les souffrances d’ordre psychique provoquées par l’insécurité, la précarité et la crise à une origine psychologique. Il ne faut pas psychiatriser, ni pathologiser des souffrances en provenance de la société. On a vu se développer les services de victimologie qui proposent une assistance aux personnes ayant subi un choc ou une agression. Il ne viendrait à personne l’idée d’aller chercher la source de leur traumatisme dans leur personnalité. « Que tout fait social comporte peu ou prou une dimension psychologique n’autorise pas à considérer que tout en relève » (p. 9).
La résistance est possible face à cette tourmente qui menace de tout emporter. Cela commence par le choix entre armer les jeunes face au monde qui les attend (ce qui revient à cautionner et à développer ce contre quoi on prétend les protéger) ou bien les éduquer au profit de la culture et de la civilisation en créant des liens sociaux et de pensée. C’est aussi cesser de croire que le réel doit se discipliner et s’ordonner à partir des grilles et des modèles qu’on élabore pour tenter de mieux le décoder. Comment vraiment comprendre et aider quelqu’un si on se contente de le réduire à un amas de problèmes ? Respecter la personne dans sa dimension multidimensionnelle ne peut émerger que dans un espace de non-savoir et de découverte partagée.
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