N° 765 | Le 15 septembre 2005 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Le métier d’éducateur spécialisé connaît depuis son origine un processus de recomposition permanent ou conjoncturel. Il a d’abord été fondé sur une dynamique charismatique : l’essentiel était de dispenser suffisamment d’amour. Avec la professionnalisation, est venu le temps du technicien de la relation. Mais, malgré la pénétration des sciences humaines au cœur des pratiques, il n’existe toujours pas de corpus de connaissances théoriques spécifique.
En fait, l’apport scientifique s’est fondu dans le modèle initial de la vocation : expériences, savoirs communs et savoirs savants se mêlent pour produire des théories mixtes et métissées. Cette réalité s’explique d’abord par l’absence d’une véritable formation initiale aux sciences remplacée par une initiation, une vulgarisation dans une perspective applicationniste. Les informations théoriques qui sont dispensées sont partielles et polysémiques, amenant à d’incontournables négociations entre les différentes disciplines. Si cela apporte un élargissement certain en terme d’appréhension de la réalité, cela implique aussi un éparpillement et un survol marqué par la superficialité.
Une étude portant sur les rapports de stage réalisés entre 1973 et 1982 a montré qu’il était fait 64 fois référence aux connaissances, 161 fois aux techniques, 221 fois à l’intégration au sein de l’équipe et 705 fois à la personnalité des stagiaires. La place laissée à l’apport théorique se réduit à la portion congrue. Aujourd’hui encore, il est en général admis que la formation ne fait que confirmer des qualités personnelles préalables. Mais le rapport de la profession à la théorie est aussi marqué par le décalage avec le vécu. D’un côté, face au morcellement du quotidien, les éducateurs spécialisés souffrent du manque d’espace de théorisation leur permettant la nécessaire mise à distance et peuvent se trouver fascinés par l’illusion d’une unification possible des interprétations et explications. Les modèles théoriques deviennent alors des ressources pour tenter de maîtriser le monde concret et intellectuel.
De l’autre, les savoirs scientifiques les convainquent qu’ils ne savent pas et les font douter. « Quand les éducateurs se trouvent en difficulté pour justifier leur action, ils puisent dans les modèles de catégorisation disponibles qui deviennent source de confrontation » (p.163). Car le métier échappe aux régularités et aux prévisions de conduite. Il s’identifie pour beaucoup à la sensibilité, la disponibilité, l’écoute, l’intuition, autant de qualités singulières liées bien plus à l’individu qu’à ses acquisitions savantes : « les conceptions du métier s’organisent surtout autour de la personnalité de l’éducateur. Ce professionnel revendique l’empirisme et ses qualités personnelles » (p.15).
C’est à partir de cette analyse que l’auteur étudie les représentations d’un échantillon d’étudiants et de salariés portant sur les usagers, leurs difficultés et le travail engagé dans leur direction.
Dans le même numéro
Critiques de livres