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« Mauvaises nouvelles des étoiles » (Gainsbourg)
Lien Social avait mis en veille son site, le 17 décembre 2020, avec une information sur le conflit qui opposait le Conseil départemental de l’Orne et le lieu de vie le « Petit Bois ».
Nous réactivons notre site avec de mauvaises nouvelles en provenance de Normandie : le Président de la collectivité départementale a mis sa menace de fermeture à exécution.
Lien Social, soucieux d’obtenir la position de cette administration, l’a sollicitée en transmettant par écrit, à la demande de son attachée de presse, toute une série de questions précises. Il s’agissait de donner la possibilité à cette institution de donner son point-de-vue détaillé sur différents aspects de ce contentieux.
Le conseil départemental de l’Orne a fait le choix de ne pas répondre, se contentant de transmettre un communiqué de presse et la copie de l’arrêté de suspension d’autorisation d’exercer pour ce lieu de vie.
La lecture de ces documents montre que l’origine du litige se résume à une unique exigence administrative : une sombre affaire de délégation de gestion que la collectivité reproche au lieu de vie de ne pas avoir respectée, mais dont la légalité a été contestée depuis du point de vue juridique, par le Petit Bois devant le Tribunal administratif.
On a beau tourner et retourner dans tous les sens ces documents, on ne trouve pas un seul reproche éducatif qui permettrait de soupçonner le lieu de vie d’un quelconque manquement dans l’accompagnement des mineurs qui lui sont confiés. Un passage du communiqué de presse du Conseil départemental de l’Orne est, à cet effet, des plus révélateur : « La préoccupation première et quotidienne du Département est de tout mettre en œuvre dans l’intérêt des jeunes et leur mieux-être. A leur retour de vacances dans leurs familles, ils seront pris en charge par d’autres structures d’accueil. » C’est ce qu’on appelle une antiphrase, cette figure de style utilisée pour dire le contraire de ce que l’on pense : « cet homme est vraiment courageux » pour désigner celui qui fuit face à l’adversité ou encore « il fait beau aujourd’hui » alors qu’il pleut à torrent. Le plus souvent l’intention est délibérée. Là, on suppose plutôt un aveu inconscient. Car, si l’on peut comprendre que le Conseil départemental de l’Orne soit déterminé à fermer le Petit Bois, on a un peu de mal à expliquer en quoi cette mesure favoriserait l’intérêt des sept jeunes qui y sont accueillis. Pour tenter de répondre à cette question, penchons-nous sur leurs parcours. Par confidentialité, leur prénom a été modifié et toute information identifiante supprimée.
Ils sont issus de l’Orne, mais aussi du Val de Marne et des Hauts de Seine.
Tom ? Seul dans un appartement sans adultes dont il ne sortait jamais, il passait sa vie devant des films. Rétif à toute proposition d’aide, il avait mis en échec de multiples institutions. A son arrivée au Petit Bois, l’équipe a commencé par respecter son rythme : dormir le jour et visionner des films la nuit. Progressivement, il s’est tourné vers les adultes et est sorti de son isolement … au point de s’engager dans une insertion qui le contraint à une heure de déplacement quotidien en bus.
On mesure combien la rupture brutale avec le Petit Bois sera profitable à Tom.
Robin ? Lui, ne parle pas. Non, parce qu’il ne le peut pas, mais parce qu’il ne le veut pas. Pendant longtemps, il répondait aux diverses sollicitations sans vraiment de paroles mais avec un langage non verbal très compréhensif. Il a vécu plusieurs échecs de placements et est déscolarisé. Le Petit Bois a fait le choix de respecter son silence. Il passait beaucoup de temps sur son portable à regarder des films dans sa chambre, n’en sortant que pour manger. Il a construit petit à petit son projet : s’engager dans l’armée. Il est inscrit à un stage de préparation militaire en février. Il commence juste à s’exprimer avec les autres jeunes et les adultes en qui il a de nouveau confiance.
Gageons que le départ précipité de Robin du lieu de vie va constituer, pour lui aussi, une chance tout à fait extraordinaire.
Valentin ? Exclu de plusieurs structures du fait de ses actes récurrents de violence, il les a aussi reproduits dans le lieu de vie. L’équipe n’a jamais remis en cause son rêve : devenir footballeur professionnel. Elle lui a même offert à son arrivée une tenue et un ballon pour qu’il puisse pratiquer son sport. Au bout d’un certain temps, Valentin a pu se confier sur la fatigue qu’il ressentait à n’être reconnu qu’à travers cette seule étiquette. Il a été accompagné dans ses émotions. Ses violences ont disparu. Il est scolarisé.
Mais, l’ASE de l’Orne n’a pas à s’inquiéter. Valentin n’est pas de son département. Même si sa référente n’a aucune solution pour lui, elle n’a qu’à se débrouiller !
Samuel ? Il est passé d’établissements en familles d’accueil, connaissant échec après échec. S’il manifeste beaucoup de violence et souffre de phobie scolaire le contraignant à une déscolarisation récurrente, il a une passion : l’ordinateur. A son arrivée, le lieu de vie lui en a acheté un, convenant avec lui d’un planning d’activités sur la semaine, avec comme seule obligation d’en présenter le résultat le vendredi devant les autres jeunes. Les épisodes de violence se sont estompés petit à petit. Samuel a cherché et trouvé un service civique, donnant toute satisfaction à ses employeurs.
Samuel s’est stabilisé. Il n’y a aucun doute, il ne risque pas d’être fragilisé par son départ brutal de ce lieu de vie.
Marin ? Il est arrivé au lieu de vie à la suite de différents placements qui ont pris fin, suite à ses passages à l’acte. A son arrivée, il passe beaucoup de temps dans sa chambre. Tout doucement, il se tourne vers les adultes avec qui il tisse un lien de confiance. Avec leur soutien, il a pu gérer sa phobie scolaire, en négociant avec le collège un temps en présentiel et un autre temps de travail en distanciel. Il a fini par se confier sur des choix de vie qu’il a du mal à gérer seul.
Pas de souci à se faire : l’évolution positive de Marin ne peut être menacée par la fermeture du lieu de vie. De toute façon, ce n’est pas le problème de l’ASE de l’Orne. L’adolescent n’habite pas, lui non plus, son département.
Sébastien ? A son arrivée il était en décrochage scolaire depuis un an et demi. Encouragé par l’équipe, il a tenté un retour complet au collège. Après sa première demi-journée, il a été pris à nouveau de panique et d’angoisse. Il revient en pleurs, tremblant et ayant du mal à se contrôler. Il faudra beaucoup de patience, pour qu’il reprenne le chemin de l’école. Il est accompagné en classe, par un adulte du lieu de vie, dans trois matières qu’il a choisies, ce même adulte travaillant avec lui d’autres cours au lieu de vie. Aujourd’hui, il arrive à prendre la parole en cours, ce qu’il ne faisait pas jusque-là.
Comme on peut s’en douter, Sébastien vivra, comme une chance, son départ brutal du Petit Bois. Tout est réglé pour lui !
Rayan ? Depuis son arrivée, ses troubles du comportement n’ont jamais vraiment disparu. Sa scolarité se répartit entre deux matinées d’ateliers au sein du lieu de vie supervisé par les enseignants du collège et la présence au collège avec le permanent du lieu de vie ou une AVS (aide à la vie scolaire). L’année a connu des hauts et des bas. Mais elle a permis une orientation pré professionnelle pour concrétiser le rêve de l’adolescent : devenir agriculteur. Ses maîtres de stage sont ravis au point d’envisager un apprentissage pour Rayan s’il continue sur cette lancée.
Rayan progresse bien. Mais, il a encore grand besoin de la continuité du soutien des professionnel. Tant pis, pour lui !
Tom, Robin, Valentin, Samuel, Marin, Sébastien et Rayan ont reçu de Monsieur le Président du Conseil départemental de l’Orne et de son service de l’Aide sociale à l’enfance un triple cadeau de noël : la rupture de la relation avec les adultes qui avaient réussi à tisser avec eux un vrai lien de confiance ; le départ précipité d’un lieu de vie où ils avaient trouvé leur place et où ils progressaient ; une nouvelle cassure dans leur parcours douloureux. Ils ne peuvent qu’en être profondément reconnaissants.
On comprend combien la « signature du mandat de gestion » était essentielle à leur développement, leur équilibre et leur épanouissement.
On ne peut que reconnaître à cette administration combien « La préoccupation première et quotidienne du Département est de tout mettre en œuvre dans l’intérêt des jeunes et leur mieux-être ».
Jacques Trémintin