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► FORUM - Le billet de La Plume Noire n°5 : Trans et Homos à tous les étages

François Durand, éducateur spécialisé de son état, est au milieu de transgenres, d’homos, de femmes et il ne sait pas s’il est éducateur, barman, baby-sitter ou homme de ménage. En même temps ce n’est pas très important de savoir ce qu’il dans la mesure où ici il s’agit avant tout d’être accueillant. Sur cet Accueil de Jour, la porte est ouverte pour celles et ceux qui sont en situation, en devenir ou en risque de prostitution. Ce qui est le cas, hormis pour les travailleurs sociaux, de toutes les personnes qui se trouvent autour de lui. L’Accueil de Jour, il ne connaît pas. C’est nouveau pour lui. Il tente de rentrer en relation, de trouver une place. Vieux briscard de l’éducation, le voilà emprunté comme au premier jour. Assis sur un fauteuil aux côtés d’un homme, il se présente «  Bonjour, excusez-moi, je m’appelle François. Je suis éducateur. Je suis nouveau ici  » « Ah bonjour », répond-il, « Moi c’est Bachir (1). Bachir, oui, mais autrement c’est Deborah ». Il ne peut réprimer un sourire qui exprime une légère gêne à l’énoncé de son prénom. Du côté de François, un automatisme se met en place : il se fait le plus accueillant possible, pour que la parole de Bachir/Deborah se sente libre d’exister. Pour autant, que cet homme, en face de lui, d’une cinquantaine d’année, avec quelques dents en moins, un visage marqué par la vie, se nomme Deborah, ne va pas de soi et lui aussi ne peut s’empêcher de sourire. Ce n’est pas de la gêne. L’altérité, il pratique depuis de nombreuses années. C’est juste qu’il ne sait pas quoi faire de ça. Et puis, lui vient cette question « Mais vous ? Vous préférez que je vous appelle comment ? ». « Deborah » répond Bachir. Deborah est Algérien. Ils sont quelques-uns, ici, originaires du nord de l’Afrique. Il est impossible pour eux de vivre leur homosexualité au cœur de leur pays. Loucif, autre figure iconique du lieu roulant des fesses à outrance, le répète à qui veut bien l’entendre. «  On ne veut pas de nous là-bas ! ». Tout drôle, convivial, et exubérant soit-il, Loucif laisse transparaître une grande souffrance. Pour lui, l’homosexualité est une maladie dont il aimerait se soigner. François se lève de son fauteuil et aperçoit Paola. Elle a des yeux verts magnifiques et sa chevelure blonde tombe en ondulant légèrement sur ses épaules. Elle doit bien peser 120 kilos. Elle discute avec Dominique, une collègue éducatrice. Sa voix est très douce. François écoute : « J’ai 40 ans. C’est fini, plus personne ne veut de moi ou alors c’est que la personne trouve un intérêt à rester avec moi. » « 40 ans, ce n’est pas vieux  » s’étonne Dominique. « Pour une Trans oui, c’est vieux  ». Paola parle d’elle au féminin. Paola est une femme. Mais François voit l’homme. Il a du mal à dépasser le truc. Paola raconte son voyage à New-York qu’elle a fait toute seule. Elle s’est rendue en plein cœur de Harlem, alors que tout le monde le lui déconseillait. Elle a assisté à une messe Gospel. « C’était magnifique et après les gens m’ont invité à partager un barbecue  ». Paola continue. « Oui plus personne ne veut de moi. Je suis une vieille Trans. Et c’est encore pire quand tu es une Trans opérée. » « Ah bon ? » S’étonne encore Dominique. « Mais pourquoi ?  » « Je ne sais pas vraiment, mais avant mon opération, j’étais en couple, on était amoureux. Quand je me suis faite opérée, cela a été fini. A ses yeux, je n’étais plus désirable. » Paola a déjà tout prévu pour ses obsèques. Elle a déjà choisi son cercueil. Elle se voit déjà morte. Quand cela arrivera, elle se fera enterrée chez elle, dans le nord, aux côtés de sa mère.

(1) Hormis François Durand, tous les personnages sont fictifs et j’espère que personne ne se reconnaîtra dans cette histoire