N° 1198 | Le 5 janvier 2017 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Se faire violer dans son enfance par son frère dans le silence assourdissant de ses parents n’était pas suffisant. Loin de la protection attendue, il a fallu qu’Anne Lorient subisse aussi le rejet et le mépris de son entourage. Fuyant l’enfer, la voilà SDF, confrontée aux coupe-gorges, aux traquenards et aux pièges insoupçonnés : les rues grouillantes, le dédale du métro, les petits boulots précaires deviennent son quotidien. Le brouhaha est permanent. Le danger aussi. Impossible de baisser la garde, de se laisser aller en toute confiance. Les principes d’humanité fondent rapidement. Les dortoirs femmes dans les foyers pour sans abri ? La sécurité est une fiction, quand des hommes s’y glissent la nuit. On est plus en sécurité seule sous un pont !
« Je n’ai plus rien, je ne suis plus rien, je n’existe plus », constate-t-elle. La déchéance est une maladie galopante qui colle à la peau : les infections brûlent le corps de l’intérieur, les pieds noircissent, les dents s’abîment, la dépression s’impose, la folie guette. L’errance abolit les repères, contraignant à mener sa vie au jour le jour. Survivre ! Simuler une violente douleur pour dormir aux urgences, attendre les maraudes pour un bol de soupe, un morceau de pain et des manifestations de bienveillance.
Qu’y a-t-il de pire : l’inceste couvert par la complicité familiale ou l’invisibilité parmi les ombres de la rue ? Anne Lorient va réussir à échapper à l’un et à l’autre, commençant à se reconstruire, avec peine et malgré les échecs. Si elle livre son histoire, c’est pour servir aux victimes qui veulent s’en sortir. Un témoignage de plus, pensera le lecteur. Peut-être. Mais chaque récit compte pour répéter sans cesse aux oreilles des citoyens confortablement insérés que la souffrance et le malheur sont à leur porte.
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