N° 781 | Le 19 janvier 2006 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Les trente dernières années ont connu un véritable bouleversement de la parenté et des idées sur la parenté : fragilisation de l’axe de l’alliance et renforcement de la filiation. À partir de ce constat partagé par tous les observateurs, Maurice Godelier nous propose le regard de l’anthropologue qui vient relativiser tous ces changements. Chaque société s’est préoccupée de régler la succession des générations ainsi que les rapports entre les individus des deux sexes, explique-t-il. Mais, « toute affirmation générale concernant la nature et l’importance réelles de la parenté est dénuée de sens » (p.100). L’auteur s’attaque ainsi à Levi-Strauss qui affirma un temps que la condition universelle de l’alliance et de la parenté passait par l’échange des femmes, en démontrant la diversité des situations. Sur les 10 000 sociétés coexistant aujourd’hui, 45 % sont patrilinéaires, 12 % matrilinéaires, 14 % bilinéaires et seulement 39 % sont cognatiques (organisation que l’on retrouve en Occident : famille nucléaire reliée par des liens de consanguinité ou d’alliance et centrée sur l’individu).
Maurice Godelier règle aussi son sort aux affirmations imprudentes de Freud et de ses successeurs concernant l’universalité de la prohibition de l’inceste. Ainsi, chez les Égyptiens de l’Antiquité, on trouvait tout à fait normal que les frères et les sœurs se marient entre eux, sans que ces pratiques millénaires ne produisent plus de tares que chez les chrétiens. Pour ce qui concerne la civilisation iranienne antique, la prescription du mariage de deux consanguins très proches (fratrie) faisait là aussi partie de la norme. L’union d’un père et de sa fille, mais aussi d’une mère et de son fils était divinisée, à l’image de ce qui se faisait chez les dieux locaux. On a toujours conçu des interdits concernant les relations entre personnes trop dissemblables ou au contraire trop proches. Mais aucune n’a de valeur universelle. Ce qui est prescrit par un peuple peut fort bien être proscrit par un autre. La permissivité sexuelle s’arrête dès lors qu’elle vient menacer la formule d’alliance. Il en va de même pour la parentalité qui désigne l’ensemble des obligations culturellement définies qui s’imposent aux adultes à l’égard des enfants. Mais, « nulle part, dans aucune société, un homme et une femme se suffisent à eux seuls pour faire un enfant » (p.325).
L’individu est inscrit dans une totalité sociale et cosmique qui déborde l’univers des rapports de parenté. La société occidentale cumule ces attributions entre les mains d’un petit nombre d’adultes. Mais beaucoup de peuples considèrent que les principes vitaux qui donnent consistance à l’enfant sont transmis par les ancêtres, les esprits ou les dieux, attribuant ainsi un rôle essentiel à bien d’autres que les parents. Maurice Godelier le démontre magistralement au travers des dizaines de descriptions qu’il nous propose : toute analyse scientifique d’un système de parenté donné nécessite la déconstruction des références et notions issues de sa propre culture.
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