N° 1315 | Le 12 avril 2022 | Critiques de livres (accès libre)
Le savoir-être en question
L’assistant social, c’est Éric Leclerc, en poste depuis 1998. Monique, c’est le nom générique donné à toutes ces femmes (mais aussi ces hommes) victimes de violences conjugales qui viennent le rencontrer. L’auteur a fait cette expérience, commune à tant d’autres, de ces personnes qui n’adhèrent pas aux propositions qui leur sont soumises : établir un certificat médical, aller déposer plainte, saisir un avocat, solliciter une place dans un foyer d’accueil. Et quand les démarches sont engagées, la personne retourne parfois auprès de son agresseur, elle ne décroche plus son téléphone quand le travailleur social l’appelle ou n’honore plus les rendez-vous suivants avec lui. Jusqu’à ce que, plus tard, elle se présente à nouveau. L’analyse avancée ici est d’une grande pertinence, tout comme ses préconisations. La première focalisation s’intéresse au professionnel et plus particulièrement aux émotions qui s’emparent de lui face au récit des horreurs qui lui est tenu, aux tremblements qui les accompagnent, aux anticipations d’éventuelles représailles, à la détresse et la douleur viscérale qui se libèrent devant lui. N’est-il pas tenté, pour soulager ses propres tensions et se rassurer, d’élaborer un plan d’action qui, à défaut de n’être le plus souvent pas adapté à la personne en souffrance, aura au moins l’avantage d’apaiser ses propres angoisses, lui donnant le sentiment, grâce à l’application des bons protocoles, procédures et dispositifs, du devoir accompli ? Seconde problématique abordée : celle de la personne située de l’autre côté du bureau. Elle ne vient pas uniquement dans le but de quitter son conjoint. Ce qu’elle veut, c’est que l’enfer s’arrête. Elle se déplace avant tout pour être écoutée, n’attendant pas forcément de l’aide dans l’immédiat. Sa demande viendra peut-être plus tard. Elle est prisonnière à la fois de la peur et de la culpabilité, les deux mamelles de l’emprise. Quelles attitudes adopter, alors ? Commencer par arrêter de se demander « pourquoi ? » en préférant le « comment ça marche ? » et « à quoi ça sert ? ». Puis, adapter sa posture pour se mettre en position d’écouter, de laisser s’écouler le récit, d’accompagner la réflexion. Ne pas prendre le pouvoir sur la personne, en lui imposant sa vision de ce qu’elle devrait faire. S’il est important de nommer et d’informer, il l’est tout autant de la laisser maîtresse de ses choix et de sa propre temporalité.
Jacques Trémintin
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