N° 726 | Le 21 octobre 2004 | Patrick Méheust | Critiques de livres (accès libre)
La trahison serait-elle le plus fidèle compagnon de l’être humain tout au long de sa vie ? C’est un peu ce que tente de démontrer ce livre de Nicole Prieur, psychothérapeute du CECCOF — institution phare en matière de thérapie familiale — tout en cherchant à dédramatiser nos trahisons quotidiennes. Traître, nous sommes condamnés à l’être et cela dès l’enfance.
En effet, « grandir c’est oser se placer dans une certaine insubordination par rapport à l’histoire familiale », souligne l’auteur. Un enfant est nécessairement déloyal envers ses parents dans le sens où il ne pourra jamais leur rendre ce qu’il a reçu d’eux mais, au mieux, transmettre l’équivalent à sa propre progéniture. D’autre part, le processus d’individuation passe par une forme d’éloignement du modèle parental. Un parent véritablement responsable doit donc laisser son enfant vivre sa propre vie, respecter le chemin choisi par ce dernier tout en le sécurisant afin de minimiser les conséquences des inévitables faux pas. « Exister, c’est transformer sans cesse le déterminisme de ses héritages en futur à inventer » ajoute encore Nicole Prieur.
La loyauté parentale doit s’exercer à travers une forme de soutien inconditionnel aux enfants engagés dans cette aventure créative y compris lorsque le petit oiseau prend son envol pour faire son nid ailleurs. Car il est dit que « l’homme abandonnera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme » (genèse 2-24). Oui mais voilà, cet attachement-là n’est pas des plus simples non plus… Effacement de soi pour se faire aimer de l’autre, engrenage malsain dans une relation de soumission ou bien encore concurrence exacerbée entre les membres du couple, la vie à deux est décidément une affaire risquée.
« Dans le même temps où on s’éprend, on se méprend inéluctablement ». Mystification première, fondatrice du principe même de la rencontre amoureuse. La formule est sans appel. Du côté des relations entre frères et sœurs pas vraiment d’amélioration… La mythologie est d’ailleurs riche de ces conflits sanglants entre frères rivaux qui expriment bien, à leur manière, la difficulté de faire une place au nouvel arrivé, lui qui brise l’exclusivité de l’amour parental dont le premier né bénéficiait jusque-là. Détestable entrée en scène.
Moralité : puisque la trahison semble omniprésente, plutôt que de le déplorer, sans doute vaut-il mieux considérer les aspects positifs du phénomène. Acte de dissidence par excellence, la trahison reste avant tout une manifestation du désir de se réaliser comme sujet sur plusieurs plans en se libérant des carcans trop pesants. Vu sous cet angle, c’est effectivement plus réjouissant. En espérant n’avoir pas trop trahi la pensée de l’auteur.
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