N° 1136 | Le 6 mars 2014 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Sandrine Bourgignon signe ici un roman sur l’adolescence et le désespoir, tout autant que sur le désespoir adolescent. Son récit plonge au plus profond de cet âge incertain et vulnérable que guette toujours la tentation suicidaire. Décrire le cheminement de l’un de ces ados, c’est risquer la généralisation abusive tout en captant ce qu’un destin singulier renvoie du mal de vivre potentiel de toute une génération. Heureusement, l’immense majorité des jeunes va bien. Ce qui n’empêche nullement que certains soient mal dans leur peau. Et Moby est l’un de ceux-là. A seize ans, il est apprenti couvreur. Le métier qu’il apprend lui plaît bien. Mais c’est bien loin de lui apporter le rayon de soleil qui lui manque dans son existence.
Avant sa naissance, il a étranglé son frère avec son cordon ombilical. Sa mère ne s’en est jamais remise, passant son existence dans son lit. Pour ne rien arranger, il est né fragile, tout petit, pas beau. Personne ne voulait vraiment de lui, de cela il en est persuadé. Aujourd’hui encore, quand il se contemple dans un miroir, il se trouve laid. Son père n’est pas encore au chômage. Mais ça ne saurait tarder. Quand Moby décide de partir en fugue, avec sa mobylette, la « bleue », il pense que l’on va vite le retrouver, ultime preuve de l’amour dont il aimerait tant bénéficier. Mais non. Son errance va le mener le long de la route vers des rencontres improbables : Pavel, le SDF qui partage avec lui son lot de misère ou encore ces clandestins qui se tailladent les bouts des doigts pour faire disparaître les empreintes digitales, des taulards et des indignés. Quand il croise les tombes des soldats de la guerre 14-18, il prend conscience que certains d’entre eux avaient eux aussi 17 ans : « Ce doit être un âge pour mourir. » A défaut d’une mère aimante, c’est la mer qui l’accueillera pour son dernier et ultime voyage, dont il ne reviendra pas.
Dans le même numéro
Critiques de livres