N° 1136 | Le 6 mars 2014 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
« Ave Caesar morituri te salutant » (Salut César, ceux qui vont mourir te saluent) déclamaient les gladiateurs de l’empire romain, avant de commencer à s’entretuer dans l’arène. Cela ressemble un peu à cet ultime livre que Christopher Hitchens, atteint d’un cancer incurable, a destiné à ses lecteurs juste avant de décéder. Il est difficile de se représenter ce que peuvent vivre les mourants, parce qu’ils ne sont plus là pour le décrire. Aussi, le témoignage de ceux qui écrivent, jusqu’à leur dernier souffle, est-il précieux. Bien sûr, cette épreuve ultime est à chaque fois singulière et unique et on ne peut en tirer aucune généralisation. Ainsi, le ton décalé adopté par l’auteur est à l’image de celui qu’il a toujours utilisé : plein d’humour et de dérision.
Célèbre publiciste et polémiste américain, il nous fait part de l’ironie mordante qui s’est emparée de lui face au parti des dévots qu’il a toujours rejeté et qui lui a proposé, en vain, le secours de la religion pour le consoler. Finalement, ce qu’il trouverait particulièrement agaçant, s’il survivait, serait de leur faire croire que leurs prières aient été d’une quelconque utilité. Il passe en revue les conseils de ses nombreux lecteurs pour s’en sortir, les déclinant les uns après les autres. Il aura fait confiance jusqu’au bout à la médecine. S’il enrage à l’idée de tout ce qu’il va perdre, il regrette aussi de ne pas pouvoir écrire lui-même « les nécrologies de scélérats vieillissants comme Henry Kissinger et Joseph Ratzinger ». Quant à la théorie voulant que l’on passe par la dénégation, puis par la rage, pour arriver à la dépression et enfin l’acceptation, il est désolé : il ne l’a pas constaté chez lui ! Face à la souffrance, à l’amaigrissement et à l’affaiblissement progressif, Christopher Hitchens aura revendiqué jusqu’au bout d’être « pleinement conscient et lucide, afin d’être acteur de ma mort et non de la subir. »
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