N° 1279 | Le 15 septembre 2020 | Critiques de livres (accès libre)
Dire l’indicible
On affirme souvent la difficulté de décrire le travail éducatif. Sophie Moreau fait mentir cette assertion. En près de quatre-vingt fragments, elle nous livre une expression sensible et particulièrement éloquente d’un métier méconnu : celui d’éducateur(trice) d’internat de la Protection judiciaire de la jeunesse. Comment traduire ce quotidien auprès de jeunes hypersensibles au rejet dont ils se sentent victimes, alors même qu’ils le provoquent ? Comment expliquer ce savoir-faire et savoir-être nécessaires face aux problématiques sociales, médicales, financières, psychologiques, scolaires, culturelles, économiques embolisant des enfants au seuil de leur existence ? Comment faire comprendre que derrière ces brutes, ces sauvages, ces caïds, ces bandits, ces barbares sans cœur ni états d’âme se cachent des enfants si souvent apeurés et angoissés, anxieux et perdus car privés d’une construction psychique satisfaisante ? C’est toute l’habileté de ce livre que de montrer l’art du professionnel : espérer sans projeter, outiller sans influencer et être distant sans être inaccessible, droit sans être inflexible, autoritaire sans être tyrannique. L’éducation est un pari, un essai un coup de poker : « nous sommes des équilibristes toujours sur le fil d’un lien distendu, réajustant sans cesse notre posture, en juste proximité et nécessaire distance » (p.75) Souleymane, Melvin, Bryan, Marwan, Sidi, Warren, Moussa, Mathis, qui prennent vie sous la plume de l’auteure, sont arrivés au foyer après une succession d’abandons, de démissions, de déceptions, de ruptures, de maltraitance, d’errances. Quelle partie d’eux-mêmes ont-ils réveillé chez les éducateurs qui les ont accompagnés sans aucun mode d’emploi, ni aucune réponse immuable et rassurante sur lesquelles s’appuyer ? Voilà une lecture à surtout ne pas rater !
Jacques Trémintin
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