N° 737 | Le 20 janvier 2005 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Si l’on s’en tient aux constats des services de police, 92 % des jeunes délinquants ont subi des maltraitances dans leur enfance. Y aurait-il donc une fatalité qui mènerait au crime par un mécanisme d’identification à l’agresseur ? Si l’on se tourne vers les éducateurs, on apprend que 74 % des jeunes qu’ils suivent évoluent positivement et réussissent leur vie. Tout n’est donc pas joué d’avance. Le processus de résilience consiste justement dans le refus de se soumettre aux discours qui prophétisent le malheur.
Boris Cyrulnik consacre son dernier ouvrage à tous les facteurs qui peuvent contribuer à modifier une destinée. L’enfant, explique-t-il, est baigné dans une bulle sensorielle de gestes, de sourires et de musiques verbales qui constituent pour lui une enveloppe de signifiants à travers laquelle il se construit. Elle peut lui procurer un attachement sécure favorable à un développement qui soit équilibré et épanoui. Bien sûr, la stimulation saine du cerveau doit éviter la sécurité totale qui engourdit la vie émotionnelle tout autant que l’excès de stress qui, en atrophiant les circuits de l’émotion et de la mémoire, paralyse la vie psychique. Mais le plus déstructurant est quand même cet attachement désorganisé provoquant la détresse à la moindre information nouvelle. Plus les cultures et systèmes familiaux favorisent les poly-attachements, plus ils multiplient les occasions de rencontrer des liens sécurisants. Ces multiples sources laissent des empreintes mnésiques qui pourront toujours être activées au moment adéquat.
Encore faut-il que ce poly-attachement soit stable et dynamisant et ne se limite pas à un groupe de bourdons qui vient et qui s’en va sans possibilité d’investissement continu. Le style affectif ainsi acquis va notablement marquer le sujet, sans pour autant le pétrifier. Il existe toujours une possibilité de remanier les apprentissages. Et c’est particulièrement le cas lors de la rencontre amoureuse qui peut tout autant déclencher un processus de résilience que délabrer un conjoint dont l’attachement semblait pourtant bien tissé. La conjugalité et sa flambée de désir peuvent tirer sur les bords d’une déchirure mal recousue. Comme elles peuvent contribuer à transformer le style affectif en permettant notamment la modification des représentations négatives de soi acquises au cours de l’enfance.
Autre facteur de résilience, l’entourage, la famille, le groupe qui, lorsqu’ils savent panser et intégrer le traumatisme, font en sorte de ne pas le laisser se développer. Car, tant que le trauma n’a pas de sens, on reste sidéré, hébété, stupide, embrouillé par un tourbillon d’informations contraires qui rend incapable de penser. C’est sa mise en récit qui permet de transmuter l’événement, en le plaçant hors de soi et en le situant dans le temps. Tous les tuteurs de résilience sont à portée de main, à condition que l’entourage ne les brise pas et que le sujet blessé ait acquis avant son malheur quelques ressources intimes qui lui permettent de s’en saisir.
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