N° 1339 | Le 9 mai 2023 | Critiques de livres (accès libre)
La pauvreté : une construction sociale ?
Si les pauvres ont toujours été définis par les riches comme ceux qui nécessitent une aumône, une aide et la charité, les historiens modernes ont replacé les pauvres comme des acteurs de leur propre survie et singulièrement comme des acteurs économiques et sociaux non négligeables. La pauvreté reste cependant un phénomène socialement construit qui dépend essentiellement des perceptions que chacun a de soi et la définition de la pauvreté varie d’un milieu à un autre, d’un pays à un autre. Quelles sont les stratégies de survie mises en place par les pauvres depuis toujours ? L’inscription dans des économies parallèles, des poly activités adaptées à des besoins changeants, les amis, la famille, etc. Le pauvre est aussi par définition la première victime d’un système mis en place pour ceux qui possèdent et thésaurisent. Le crédit y est systématique, l’usure aussi, l’exploitation de la force de travail également. L’autrice rentre plus en détail, à partir de données statistiques, sur une sociologie plus précise de la pauvreté en France et ailleurs. Les familles monoparentales restent les types de familles les plus pauvres. Individuellement, les profils sont extrêmement variés, car la pauvreté s’accompagne souvent de carences en termes de capital culturel, capital social, capital relationnel. Si les garçons historiquement sont plus pauvres que les filles entre 5 et 14 ans, la tendance s’inverse à l’âge adulte, sans doute parce que l’accès aux modes de survie précaires est plus facile pour les hommes : petits boulots, récupération, réparation avant revente, etc. Ainsi la pauvreté se révèle être un système inclus dans notre système général. Elle est engendrée par la richesse en miroir, il n’y a pas de pays riches qui n’ait « ses pauvres » comme il n’y avait pas de paroisses sans ses nécessiteux. L’autrice navigue géographiquement pour nous montrer la permanence des moyens de survie d’un pays à l’autre et historiquement pour démontrer que les modes d’existence des pauvres se sont modifiés, certes, mais dans une sorte de structure générale permanente. Le système social d’aide a pris la place de l’aumône catholique, mais finalement, le bon pauvre reste celui qui répond aux exigences morales, de soumission, de socialisation de celui qui lui donne. (À ce titre, le travail social est questionné. Comment le travailleur social se positionne-t-il vis-à-vis du pouvoir qui lui est donné par sa fonction d’aide, d’intermédiaire avec les autorités, d’accompagnement à la recherche d’allocations, de logement, de travail ? Qu’exige-t-il, de réel ou symbolique, consciemment ou inconsciemment, en échange de son travail ? Quelles transformations, quelle déculturation, quelle soumission de celui qu’il aide ?)
Étienne Liebig
Laurence Fontaine est historienne spécialiste des migrations temporaires et des cultures de l’économie dans l’Europe moderne, elle analyse dans ce petit ouvrage indispensable l’histoire de la pauvreté, son rôle dans l’organisation des sociétés anciennes et modernes, elle montre aussi comment le pauvre est souvent maintenu traditionnellement hors du champ du travail le plus rémunérateur, mais aussi dans nos sociétés modernes, en dehors du champ culturel et social ou des réseaux sociaux. La pauvreté apparait alors comme une construction sociale littéralement induite par le fonctionnement même de notre société, bien au-delà du monétaire.
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