N° 837 | Le 19 avril 2007 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Le parti pris des auteurs est clair : il n’y a pas une définition unique de la personnalité dépendante, ni d’ailleurs un seul modèle qui s’y réfère. Pour en faire la preuve, ils dressent la liste exhaustive de nombreuses recherches qui ont tenté de la circonscrire. Edifiant ! Parmi les hypothèses avancées successivement, on compte une malléabilité particulièrement forte, une facilité à être séduit, le besoin de s’en remettre à une personne pour prendre des décisions à sa place, la quête d’approbation et d’acceptation pour se voir confirmer sa propre valeur, l’attribution systématique à des facteurs extérieurs de tout ce qui est nécessaire au bien-être ou encore l’insatisfaction des désirs oraux de la première enfance (qui induirait une passivité et une avidité affective sans compter une intolérance à la solitude ainsi qu’une recherche compulsive de communication avec les autres).
Certaines théories incriminent les carences précoces de la séparation. La mémoire proprioceptive réactiverait ces épisodes douloureux de l’enfance, dès que des événements se placeraient en résonance. Le sujet tenterait alors de compenser l’état d’excitation provoqué par la discontinuité du sentiment de sécurité en produisant une sensation d’autostimulation. L’addiction qui s’ensuivrait ne serait pas tant une recherche de consommation d’un produit que la tentative de répondre à cet éprouvé du manque ou de l’absence. Déçu par des objets humains si peu fiables, le sujet se tournerait vers des objets de remplacement non tributaires du désir de l’autre. D’autres théories établissent une corrélation entre la personnalité dépendante et des caractéristiques génétiques, voire des situations dépressives, phobiques ou anxieuses.
Chacune de ces hypothèses comporte d’autant plus sa part de vérité qu’on a affaire non à une, mais à plusieurs formes de personnalités dépendantes. Mais les auteurs ne se contentent pas de décrire ces tentatives d’interprétation, ils les soumettent aussi à la critique. La pathologisation de la dépendance démontre, expliquent-ils, que notre société s’est centrée sur des normes particulières : l’autonomie, la réalisation personnelle, l’aspiration au bonheur. Or, d’une part, la dépendance interpersonnelle appartient au registre normal de l’aide et des réassurances mutuelles. Sa version pathologique se régule non par l’accession à une hypothétique indépendance mais par l’abandon de conduites rigides au profit de conduites souples et interactives. « La normalité n’est pas d’être dépendant ou autonome, mais de pouvoir utiliser l’une ou l’autre de ces modalités de manière adaptative » (p.168).
D’autre part, l’intolérance aux frustrations et le besoin de satisfaction immédiate ont objectivé l’incapacité à différer dans le temps la réalisation des besoins et des pulsions. La souffrance, caractéristique fondamentale de l’être humain, est devenue une déviance à combattre. Et la quête du bonheur, en devenant un objet de recherche systématique, a perdu sa valeur de mythe fondamental.
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