N° 791 | Le 30 mars 2006 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Voilà un petit ouvrage tout à fait intéressant qui pose en termes clairs la question de la proximité relationnelle. Notre profession a cru un moment qu’elle allait pouvoir éviter le risque d’envahissement fusionnel réciproque que représente la trop grande proximité avec l’enfant, en essayant de chasser toute subjectivité et de privilégier une écoute non impliquée.
Mais, qu’on le veuille ou non, la relation éducative provoque des sentiments complexes. D’abord du fait de l’institution qui, de par l’étayage qu’elle propose à l’enfant, place le professionnel en situation de « mère dévouée ». Ensuite, du fait de l’enfant carencé lui-même, qui est tout particulièrement demandeur d’attention. Même si l’affection qu’il recherche est potentiellement dangereuse pour lui car pouvant, en cas de nouvelle défaillance, le blesser à nouveau, elle apparaît comme un facteur incontournable de son équilibre : « L’être humain a besoin de se sentir aimé et protégé pour se développer harmonieusement » (M. Sillamy). Enfin, du côté de l’intervenant, la quête contradictoire de l’enfant éveille des sentiments complexes, réactivant chez lui des angoisses infantiles, des peurs, des désirs et frustrations refoulées. Assigné à un rôle de suppléance, il se voit confronté au désir de réparer et d’être réparé, tant la capacité d’agir avec amour et compassion est étroitement liée à la culpabilité.
Aussi, dans sa relation à l’enfant, ne peut-il que convoquer son implication émotionnelle et affective : « de même qu’une mère mythique idéale est enfouie dans chaque carencé, de même l’image du thérapeute idéal ou du parent salvateur est profondément installée dans l’inconscient de toute personne ayant choisi d’aider un être humain » (Michel Lemay cité p.68). Ce qui se joue alors peut tout autant s’exprimer dans l’amour (avec l’écueil d’une fusion qui ne laisse pas à l’autre une place différenciée), que dans la haine (l’enfant rejouant le rejet dont il a déjà été victime), l’un et l’autre n’étant que les extrémités de la gamme d’affects qui s’expriment. Winnicott expliquait qu’un attachement préalable était nécessaire pour qu’un processus de séparation puisse s’initier.
La juste distance relationnelle pourrait donc se relier à cette proximité bienveillante dans laquelle l’enfant se sent aimé, soutenu et valorisé, sans pour autant être affectivement dépendant. Si l’enfant doit faire le deuil de ne jamais rencontrer la mère idéale, celui de l’éducateur consiste à ne jamais pouvoir la remplacer. Il peut agir sur cette distanciation, en apprenant à mieux se connaître et en n’hésitant pas à remettre en question son action. Il peut aussi s’appuyer sur l’équipe, sur les supervisions et sur l’écrit qui jouent alors le rôle de tiers. Mais la bonne distance n’existe jamais en soi. Dans chaque rencontre, le professionnel oscille entre le trop proche et le trop éloigné, entre le suffisamment près et le suffisamment distancié.
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