N° 1068 | Le 28 juin 2012 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Longtemps rejeté pour son élitisme et sa dimension éminemment commerciale, le sport de compétition a été convoqué, au début des années 1980, pour réussir à canaliser la violence des quartiers défavorisés, consolider l’unité entre les communautés et atténuer les différences sociales, sexuelles et ethniques. En réalité, ce qui a changé, ce n’est pas la nature de cette activité, mais la mission quasiment miraculeuse que lui enjoignent d’accomplir certains entraîneurs, éducateurs ou acteurs politiques.
Le Sociographe se charge ici de déconstruire l’évidence des valeurs idylliques du sport et les puissants fantasmes laissant croire qu’il serait naturellement efficace dans la lutte contre les diverses formes de désagrégation sociale. La critique est d’emblée frontale : non, ces disciplines ne sont pas en capacité d’intégrer, de former et d’éduquer les individus, en favorisant leur émancipation et leur réalisation personnelle. Et pour cause : ces pratiques promeuvent, à travers la compétition, la violence et la haine de l’autre.
L’objectif étant la production de records permettant un bon classement, la lutte contre l’autre et la rivalité en sont l’alpha et l’oméga. La rencontre est dominée par la construction fantasmatique et réifiante de la figure de l’adversaire et la projection en lui de tous les griefs. « Le sport, en tant que dérivatif, n’offre jamais la possibilité de transformer la réalité sociale, il en reproduit, tout au contraire, les structures caractérielles les plus centrales : compétition-concurrence, sélection-élimination, classement, productivisme, etc. tout en entretenant l’illusion qu’il en permet le dépassement » (p. 20). Et toc !
Pour ce qui est des différences de sexe, le diagnostic n’est pas plus brillant, le sport étant accusé d’être le fief de la virilité. Les sportives se doivent d’être minces, longilignes et gracieuses dans leurs efforts. Des performances un peu trop brillantes et on exigera d’elles des tests gynécologiques ou chromosomiques. Comme si on soupçonnait un sportif homme d’être une femme.
Quant à l’utilisation du sport comme vecteur d’insertion sociale chez des publics frappés d’exclusion, il est étonnant de constater combien les valeurs privilégiées se rapprochent des compétences exigées par le monde du salariat : les sports d’endurance qui préparent à l’effort et dont les progrès peuvent être quantifiés ou bien des techniques de connaissance de soi – comme le yoga et la relaxation – permettant un meilleur contrôle de son corps et une meilleure efficacité ? Si l’on peut être convaincu de l’inanité des qualités vertueuses et éducatives attribuées intrinsèquement au sport, l’on peut déconstruire la déconstruction, en s’interrogeant : n’existe-t-il d’activité sportive que compétitive ?
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