N° 1003 | Le 27 janvier 2011 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
La surdité est le résultat d’une lésion irréversible des cellules spécialisées permettant l’audition. Sans appareillage, ni rééducation, le sujet ne peut effectuer le contrôle audio phonatoire de sa propre voix, ne réussissant à en moduler ni le spectre, ni l’intensité. De sourd, il devient très vite sourd-muet. De multiples corrections sont, dès lors, possibles. Benoît Virole nous en fait un descriptif précis, en rappelant la controverse historique entre les deux orientations qui ont divisé longtemps le monde des sourds. Pour les partisans de la seule oralisation, il faut apprendre aux non entendants la langue de ceux qui entendent : implantation cochléaire permettant de stimuler les fibres du nerf auditif, prothèses rendant possible l’amplification des sons, apprentissage des signes écrits, mais aussi de la prononciation orale, lecture labiale favorisant la lecture sur les lèvres de son interlocuteur, langue parlée complétée par des signes pouvant appuyer et accompagner le flux de paroles…
Pour les défenseurs de la voie visuo-gestuelle, l’absence d’audition ne constitue pas un manque, mais un autre rapport au monde. Si les aides tentant de restaurer l’audition sont parfois précieuses, celles-ci sont secondaires, d’autres indices traditionnellement négligés par ceux qui bénéficient d’une audition normale pouvant être utilisés, tels le changement de température, la modification de la pression, la variation de la luminosité. Les sourds ne sont pas des entendants à qui il manquerait quelque chose, mais une minorité linguistique, ayant sa propre culture. La langue des signes qui utilise les quatre dimensions de l’espace-temps est, parmi tous les langages, celui qui se rapproche le plus de la grammaire universelle. C’est un vecteur de significations partagées qui unit toutes les personnes qui l’utilisent.
Alors qu’on aurait pu les concevoir dans la complémentarité, ces deux modèles se sont longtemps affrontés. Des oralistes ont pu aller jusqu’à interdire aux enfants sourds de signer, n’hésitant pas à leur attacher les mains dans le dos. Certains défenseurs de la langue des signes ont pu cultiver une posture victimaire, accusant les entendants de les opprimer. L’auteur préfère se maintenir sur la ligne de crête, refusant de trancher entre les deux orientations et condamnant les excès de part et d’autre. Il s’insurge contre l’enfermement dans des généralisations simplificatrices et sclérosantes. Rappelant la très grande diversité de situations de surdités qui sont singulières et uniques, il préconise que chaque enfant sourd bénéficie d’une approche spécifique et individualisée, tenant compte de son degré de surdité, de la date d’acquisition et de l’étiologie de sa déficience, comme du contexte familial dans lequel il vit.
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