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31 janvier 2023

🎭 THÉÂTRE • La danse orientale pour réconcilier les femmes au corps meurtri

Le 3 février, la chorégraphe Emmanuelle Rigaud présente le spectacle À corps retrouvé au théâtre Jean Vilar à Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne). Un excellent support pour des débats sur les violences faites aux femmes.

Dans un solo, dont le texte a été écrit par Penda Diouf, Emmanuelle Rigaud rend hommage aux héroïnes de la Maison des femmes de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) dans laquelle elle anime depuis deux ans des cours de danse orientale. Créé 2016 par Ghada Hatem, gynécologue-obstétricienne, ce cocon adossé à l’hôpital Delafontaine, abrite et accompagne des femmes victimes de traumas : violences conjugales, mutilations sexuelles, viols (1).

Souffle vital

L’artiste fait du plateau scénique un monde de poésie totale tourné vers l’intime : les bâches de plastique au sol deviennent vêtement, tente, colline, vagues, robe. Par ses déplacements, ses postures et jeux du corps, elle nous présente des femmes (jeune, âgée, pliée en deux). Elle initie le spectateur au souffle vital et au 8 infini du bassin qui ondule pour les relever, nous fait traverser en apnée un univers marin peuplé de larmes. Entre diagonales, ondulations, de dos, de face, bondissante ou appuyée, elle dépeint cette amazone qui se bat contre une mort ou encore cette femme à la bouche cousue par sa grand-mère, et celle qui prends la route de l’exil après son excision au village.
Sa voix nous guide comme une torche qui sort de l’eau. La bande-son donne à entendre du récit, de la musique syncopée d’oud, de percussions, de sonnettes, de xylophone, sur laquelle, avec ceinture à paillettes multicolores nouée sur le pantalon et brassière noire, elle emmène le public dans l’énergie de l’exorcisme.
Une démonstration de respiration saccadée, dynamique, nous entraîne vers une transe proche de celles des derviches tourneurs. Le défoulement, l’hystérie, le tremblement de la danse convoquent la peur, reconnectent avec le sauvage. Le rire est appelé, dans la nuit sombre, relié au gras du ventre qu’Emmanuelle Rigaud enseigne à pétrir, avec les doigts. Ce nombril de la naissance sait cicatriser les scarifications, les enfermements à double tour des hommes violents.
Pour finir, la danse de la tête (égyptienne), chorégraphiée dans l’espace des bras et mains pointées vers le ciel, fait retentir le cri de la liberté.

Libération

« À chaque séance, j’enlève quelques points de suture », a confié une participante de la Maison des femmes à Emmanuelle Rigaud à la fin d’un atelier. La structure propose une prise en charge pluridisciplinaire de proximité avec un guichet unique. Une approche particulièrement riche pour l’artiste. « Je ne suis pas art-thérapeute, si je rencontre une difficulté durant l’atelier, je peux en parler à un médecin, un psychologue, c’est sécurisant pour moi comme pour le groupe ».
Aider les femmes à se réconcilier avec leur corps par la danse orientale, voilà une démarche qu’Emmanuelle Rigaud approfondit depuis longtemps. Depuis plus de vingt ans, elle anime un atelier hebdomadaire à la prison des femmes de Fleury-Mérogis (Essonne). Depuis deux ans, elle intervient également dans l’unité de soins et d’accompagnement post-traumatique (USAP) du centre hospitalier intercommunal Rober Ballanger d’Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) à la demande du Théâtre de la Poudrerie. Une création avec le groupe étant en effet prévue en décembre 2023, une autrice viendra recueillir les récits des femmes durant l’année.
En janvier 2023, elle a démarré un projet de création en lien avec les éducateurs de la Cité des Dames, un centre d’accueil parisien pour femmes sans abri, principalement migrantes, à la demande de la coopérative de Rue et de Cirque. L’opportunité pour de nombreuses femmes de renouer avec leur corps en rythme et en douceur.

Agnès Montagne

Le reportage :Maison des femmes : attention fragile…, dans la rubrique Fabrique du social, Lien Social n° 1206, avril 2017.

À corps retrouvé, conception et mise en scène Emmanuelle Rigaud, texte Penda Diouf (invitée en résidence), production Les Alouettes Naïves. 3 février 2023 au Nouveau Gare au Théâtre 3 rue Pierre Semard à Vitry-sur-Seine à 20 h.

Pour commander le spectacle : 06 15 16 67 32 - contact@lesalouettesnaives.com

Crédit Teaser : Chrystel Jubien

Prison • S’évader par la danse

Dans le cadre de son master à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), Chrystel Jubien réalisé un documentaire pour lequel elle a suivi Emmanuelle Rigaud durant un an dans l’atelier hebdomadaire qu’elle anime en détention. Il montre à quel point un travail de danse orientale - basé sur une technique d’isolation des mouvements de chaque partie du corps - permet à des femmes (que tout lie entre elles) de découvrir des espaces de liberté vers l’intime, comme si elles prenaient des passerelles de traverse. Il montre la progression du travail autour des bras, des mains expressives et des doigts qui deviennent délicats, les haut/bas du bassin, les ondulations du ventre, les tremblements du corps, les frappés au sol, avec ces voiles colorés qui deviennent des objets transitionnels, pour arriver, au final, à un spectacle dans lequel le bruissement des ceintures à paillettes lors des déplacements et le maquillage aident à libérer le corps de chacune de ces femmes incarcérées.
L’expérience géographique de la salle polyvalente dans laquelle se déroulent ces ateliers chaque jeudi délie les corps par la danse, permet de se remettre en mouvement.
Au lieu de bloquer les corps et de toujours rester liées entre elles, ou d’avoir toujours à penser leur condition, ces femmes peuvent ici s’échapper, au creux d’elles-mêmes et retrouver un espace intérieur solide. On voit bien comment ces corps (habitués au travail, aux rythmes collectifs imposés et au bruit), parfois inexpressifs, déconcentrés ou déprimés en début de séance, se retrouvent individuellement au fond d’eux-mêmes, jusqu’à exprimer le sourire, la grâce et le mouvement. Certains regards empêchés se libèrent même totalement sous les voiles colorés et le mouvement les suit.

A.M

Pour qui danser ?, produit par Pierre Piet (Ad Vitam), 49’, 2018. Contact : cjubien@yahoo.fr

Pour Qui Danser ? from chrys jub on Vimeo.