N° 795 | Le 27 avril 2006 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
À une époque où l’on parle du retour du religieux, l’ouvrage de Michel Onfray constitue un vrai exercice d’hygiène mentale remettant sur le devant de la scène les voix de ceux qui ont toujours voulu parler librement, produire des explications rationnelles, récuser les fictions fabriquées, penser tout simplement, en dehors de l’hypothèse de l’intervention d’un au-delà : les mécréants, les impies, les incroyants, les incrédules qu’on a pourchassés et massacrés pendant des milliers d’années.
Enseigner le fait athée suppose une archéologie du sentiment religieux : l’incapacité à regarder la mort en face, l’impossible conscience de l’incomplétude et de la finitude, le refus d’accepter le rôle majeur et moteur de l’angoisse existentielle. C’est à tort, explique l’auteur, qu’on a pu prétendre que Dieu était mort. Tant que les hommes seront condamnés à mourir, une partie d’entre eux ne pourra soutenir cette idée et inventera des subterfuges. Le dernier Dieu disparaîtra avec le dernier homme et avec lui la crainte, la peur et l’angoisse, ces machines à créer des divinités. « Je ne méprise pas les croyants, je ne les trouve ni ridicules, ni pitoyables, mais je désespère qu’ils préfèrent les fictions apaisantes des enfants aux certitudes cruelles des adultes. Plutôt la foi qui apaise que la raison qui soucie. » (p.27). Passer outre le diktat de Dieu, c’est préférer le savoir à l’obéissance et vouloir essayer de connaître plutôt que de se soumettre. Tant que la religion reste une affaire entre soi et soi, il s’agit après tout d’une affaire privée. Mais lorsque la croyance devient une affaire publique visant à organiser le monde pour autrui, cela devient insupportable. Car les hommes, en voulant se doter d’un Dieu unique, lui ont donné la même image qu’eux-mêmes : cette divinité jalouse, violente, querelleuse, intolérante, belliqueuse a généré plus de haine, de sang, de mort, de brutalité que de paix, de sérénité, d’amour du prochain et de tolérance.
Bien sûr, ce n’est pas là un message repris par tous. Et effectivement, si Dieu ne dit pas grand-chose, ses prêtres parlent en abondance. Les Livres sacrés des trois religions monothéistes couvrent 5000 pages qui ont été abondamment recopiées, complétées, travesties, réécrites, corrigées, amendése, volontairement ou non, par trop de gens pour obtenir un enseignement cohérent, homogène et univoque. Résultat, on y trouve tout et son contraire : le bellicisme et le pacifisme, l’ordre de tuer ou de ne pas tuer, l’amour de l’autre ou l’appel à le massacrer, le pardon ou la colère divine, la tolérance face aux autres croyances ou l’ordre de les exterminer etc… Il y a bien toutefois une valeur transversale partagée par les religions du Livre, c’est la commune exécration de la femme qui n’a comme seule solution que de devenir épouse puis mère : elle ne peut être sauvée de sa négativité consubstantielle qu’en épousant un homme et en lui donnant des enfants. Charge féroce et implacable d’un Michel Onfray en pleine forme qui ne fait place dans son propos ni à la concession, ni au compromis.
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