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📝 Tranche dâĂ©ducâ âą Enfant des rues, enfant Ă nu
Il nâa connu que la rue, lâinstabilitĂ©, lâinsalubritĂ©, lâerrance et le dĂ©nigrement. Pourtant entourĂ© de parents et dâune grande fratrie, il a vĂ©cu livrĂ© Ă lui-mĂȘme dans cet ensemble Ă la portĂ©e du monde. Le dĂ©dain, il connait, lâignorance, il ne lâa que trop cĂŽtoyĂ©e et aujourdâhui il vit dans une grande villa avec un seul adulte pour rĂ©fĂ©rence et quatre autres enfants pour colocataires.
Il a sa chambre.
Une grande et belle chambre. Douze mĂštres carres pour lui et ses Playmobiles. Il lâa tapissĂ©e de dessins, coloriages et mots doux qu’il sâauto adresse. Il lâa remplie dâobjets « au cas oĂč ».
Pleine de bouts de cartons, de morceaux de papier, de brins dâextĂ©rieur, de dĂ©bris dâobjets, il accumule les petits bouts. Il aime se construire des mondes et reconstruire le cassĂ©. Il met en scĂšne ses petits personnages dans des univers faits de bric et de broc. Il les fait Ă©voluer dans cet espace qui lui est propre, il y raconte son histoire, y a dĂ©posĂ© sa mĂ©moire.
Puis il casse.
Il cogne les murs pour arracher des bouts de placo et renforcer avec eux la maison de carton Ă©difiĂ©e pour ces petits personnages de plastique. Sa chambre se dĂ©labre autant que ses constructions se renforcent. Il navigue dans un environnement de plus en plus rempli, il sâoublie dans cet espace qu’il dĂ©possĂšde.
Son lit lui sert de table, il dort au sol dĂ©sormais. Son mur sâĂ©miette, il comble de posters ce blanc qui a virĂ© au gris avec le temps. Son bureau s’est vidĂ© de ses livres, il sert dâentrepĂŽt, de rĂ©serve semi organisĂ©e oĂč les petits bouts de papiers dĂ©chirĂ©s sâordonnent anarchiquement entre les morceaux de cartons amoncelĂ©s. La dĂ©chĂ©ance environnementale sâamorce soulignĂ©e par une odeur maintenant insoutenable. Son sol est jonchĂ© de chaussettes sales, de constructions, de bouteilles de lait dĂ©versĂ©es, de dĂ©tritus et de livres nonchalamment posĂ©s lĂ . Parce que il est grand lecteur cet enfant ! Il absorbe les mots Ă vitesse Ă©clair, il aime se plonger dans ces histoires fantastiques les dĂ©vorant aussi vite quâil ne les dĂ©laisse.
Il lui est demandĂ© de trier, de ranger, de jeter, de nettoyer. Des tentatives sont faites pour lâaccompagner, pour faire avec lui, pour amorcer, pour initier le changement. Et pourtantâŠ
Rien nâest possible.
Son antre est désormais inaccessible. La solution ultime lui est expliquée.
La menace du prendre soin devient nĂ©cessitĂ©. Il lui est difficile dâentendre cette volontĂ© dâaccĂ©der Ă lui, mais lâheure n’est plus au choix.
Son accord n’est plus requis, il ne peut sâen saisir alors nous ferons Ă sa place.
Un matin de Mars il nous voit débarquer.
Gants aux mains, masque au visage, jogging, basket, sac poubelles en rĂ©serve, lâheure du vide a sonnĂ©.
Il ne sây oppose pas, ne fait pas barrage.
D’un revers de main il vide le lit au sol, sây fait une place et demande notre tĂ©lĂ©phone.
« On peut mettre de la musique ? » Il sâimprovise DJ d’un set musical de quatre heures.
Quatorze sac poubelles se remplissent, deux heures de mĂ©nage sâen suivent, il nâaura pas bougĂ© du lit assistant Ă une valse incessante de rĂ©curage sans prĂ©cĂ©dent.
Le lendemain il est surpris en train de pleurer.
Il nâen exprime rien, ses larmes parlent pour lui.
Quelques jours plus tard il a été surpris changeant ses draps pourtant peu salis.
Il souriaitâŠ
Il nâen a rien dit, ses yeux parlaient pour lui.
Jeune garçon de douze ans s’est vu dĂ©possĂ©dĂ© d’un passĂ© reconstituĂ© laissant place au prĂ©sent en toute sĂ©curitĂ©.