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Il vient de rentrer de la maison des fous comme s’amuse à l’appeler « l’autre », son frère.
Il a sept ans et ses trois dernières semaines se sont passées entre les quatre murs de cet hôpital, de cet immense complexe immobilier dédié à la psychiatrie. Mais, privilège de l’enfance oblige, il bénéficiait d’une aile adaptée. Un peu plus colorée, un poil plus arborée, un tantinet plus ouverte sur l’extérieur, un soupçon de liberté en plus. Les barreaux n’ornaient pas ses fenêtres, il n’était pas nécessaire de prendre tant de précautions. Sa fenêtre sur cour était condamnée à ne faire entrer qu’un peu de lumière sans aucun brin d’air. Et, la vitre qui, d’ordinaire se briserait sous les coups d’objets imposants, ne risquait pas de tomber, les deux seuls meubles qui ornaient la chambre étaient scellés au sol.
Mais sa chambre, il l’a aimé au premier coup d’œil. Ce lit vide, austère et peu accueillant, il s’y est jeté dès la première minute. La chaise clouée au sol a immédiatement accueilli son petit sac à dos qu’il a même délicatement ouvert pour en sortir son playmobile et son doudou. L’un a fini au sol, l’autre au lit. Et, lui, m’a demandé d’immortaliser ce moment « tu peux me prendre en photo ? ».
Sa valise ? Il m’a demandé de la lâcher au sol et il s’est précipité dans la salle commune se ruant sur les jeux « on verra après pour mes beaux habits, viens on va jouer ». Il ne le sait pas, mais je n’ai pas la clé pour installer ses affaires dans le placard fermé à double tour, alors il finira son installation avec les infirmières.
Il nous a fallu deux heures trente de voiture pour arriver en ce lieu. L’excitation était insoutenable pour lui, au départ du foyer. Il secouait son frère ne sachant comment dire au revoir, ne pouvant verbaliser ses émotions, ne sachant quand et si son retour arriverait. Il posait des tas de questions sur le parvis du foyer avec un sourire figé sur le visage. Dès lors que nous avons quitté le parking, un silence assourdissant remplit la voiture et ce pour les prochaines heures. Nos quelques échanges de regards dans le rétroviseur se soldaient par une réponse enjouée, soulignée par un sourire convenu, qui disparaissait aussitôt mes yeux détournés. Lui, d’ordinaire agité, est resté assis sans bouger tout du long. Face au portail d’entrée il a enfin parlé, demandant si nous étions arrivés. Pourtant il connaissait, il reconnaissait ce lieu que nous avions visité la semaine précédente. Mais il comprenait à quel point cet aller serait sans retour immédiat, alors il fallait combler le vide et demander.
Face à l’équipe soignante, il revêtit son plus beau sourire. Ce même sourire qu’il m’adressait quelques minutes avant dans le rétroviseur distanciant le réel des émotions. Dos à la porte d’entrée, il se mit à faire des allers retours entre ce connu que je représentais et cet espace qui s’ouvrait à lui. Puis je dus partir et c’est d’un revers de main accompagné d’un « à demain, tu penseras à moi au péage », que j’ai pris la porte. J’ai bien sûr pensé à lui en traversant les quatre stations de péage, jetant un œil au rétroviseur qui ne reflétait désormais que mon regard. J’ai aussi pensé à lui ce lendemain qu’il pensait être un jour de retrouvailles, mais qui n’était en réalité que le début de ce séjour long, très long, peut-être trop long.
De grands évènements se sont déroulés au foyer, en son absence. Il m’a fallu les lui annoncer, les lui expliquer lors de nos contacts téléphoniques. Puis, nous nous sommes revus. Lui, moi et « cet autre », son frère, son petit frère de cinq ans. Et ce samedi, sous le signe des retrouvailles, où le petit rendait visite au grand, fut une belle journée.
Journée à la ferme.
Face à ces animaux, le grand garçon prit son rôle à cœur, il initiait son petit frère aux risques de la ferme. Prévenant, patient, rassurant, il n’avait jamais montré un intérêt si bienveillant à ce petit frère objet de toute sa colère, réceptacle de toute sa violence, figure d’attachement tant détestée. Quel grand moment ! Il s’est finalement soldé par une alliance où ces deux bonhommes se sont ligués, tels des pirates, contre ces adultes qui parlaient d’eux lors du relais institutionnel. Ce temps de passation d’informations marquait les au revoir. Ils furent déchirants. Le petit frère s’est empêché de dormir sur le chemin du retour et s’est finalement effondré dans mes bras lorsque nous avons franchi la porte du foyer.
La semaine suivante sonne l’heure de la fin d’hospitalisation.
Trois semaines se sont écoulées et ses murs, son lit, sa chaise lui deviennent désormais insupportables. Il lui faut rentrer, revenir à sa vie quotidienne.
Je passe le pas de la porte. Il m’attend, valise à ses pieds, petit jeans, jolie chemise, lunette de soleil déjà sur le nez, casquette sur la tête, sac à dos sur les épaules, il est prêt. Il accepte que nous fassions tous ensemble le point sur ce séjour. Il s’accroche à mon cou et m’appelle au départ tout en se plongeant dans les yeux de l’infirmière, en absorbant les mots du médecin, en balayant la pièce du regard s’attardant sur les moindres détails. Ses derniers mots en ces lieux se sont adressés au médecin, il avait besoin de parler, ici, de son petit frère qui fut un jour passé entre ces murs bien furtivement. « L’autre aussi il va venir ici, à la maison des fous comme moi ?! Moi ça m’a fait du bien, maintenant c’est à son tour, il va guérir lui aussi ». Mais non, lui, n’ira pas. Ils sont frères, mais bien différents, mais ça… il ne le sait pas encore.