N° 666 | Le 15 mai 2003 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Autant travailler auprès des personnes atteintes de déficiences intellectuelles profondes, de handicaps associés ou de maladies gravement invalidantes peut évoquer la monstruosité et la souillure, autant cet ouvrage exceptionnel redonne ses lettres de noblesse à une fonction trop injustement identifiée à la défectologie. Philippe Chavaroche nous propose un document précis et remarquable qui décrit le travail de ces professionnels confrontés en permanence au trop (agitation, stéréotypies verbales ou gestuelles, automutilations ? renvoyant à la folie) ou au pas assez (déficit de communication, non réactivité aux stimulations, non mobilité, conduite de repli ? renvoyant à la mort), avec les tentations de calmer par des méthodes coercitives ou de stimuler de façon trop exagérée.
Les maisons d’accueil spécialisées (MAS) ont su développer, au cours des années, des réponses combinées faisant la place respectivement à l’éducatif et au thérapeutique. Si la psychose s’articule autour d’une perception confuse et morcelée des frontières entre le dehors et le dedans, le sanitaire (médecine du corps et du psychisme) tente de restaurer le dedans, là où le social se consacre plus au dehors. De multiples supports peuvent être utilisés à cet effet. Le rythme de la vie quotidienne, tout d’abord, qui va se décliner en temps (que l’on veut continu, linéaire et permanent), en espace (connu et identifié) et en permanence relationnelle. Ensuite, les moments de contacts rapprochés que sont par exemple les toilettes qui favorisent les accrochages visuels ou les bains d’eau qui doivent s’accompagner de bain de mots. Les activités, encore, qui utilisent les médiations corporelles ou ludiques, mais aussi les stimulations orales, olfactives, acoustiques, tactiles ou bien encore visuelles. La socialisation toujours qui utilise les repas partagés en commun, les sorties en groupe, la confrontation au monde extérieur.
Mais, le souci premier est quand même le confort d’une population dont la souffrance ne présente pas de signes cliniques facilement identifiables. D’où les précautions et la vigilance pour repérer le mal-être dû aux dysfonctionnements de l’alimentation ou aux pathologies du système digestif, aux rétractations tendineuses ou aux contractures musculeuses, à l’éclatement anxieux ou aux chocs émotionnels pouvant provoquer des désorganisations massives. Mais, cette attention à l’égard des usagers doit se doubler d’une prévenance à l’égard d’un personnel particulièrement bombardé par des symptômes qui incitent à se blinder ou à se retourner contre les résidents. D’où l’importance de transformer ce vécu, là aussi douloureux et angoissant, par une mise en mots. Car, ce sont bien les dispositions affectives, fantasmatiques et émotionnelles de chaque professionnel qui lui permettent d’entrer en relation et en résonance psychique.
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