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📝 Tribulations d’une assistante sociale de rue - Desigual or not Desigual ?

Connaissez-vous le stĂ©rĂ©otype (rĂ©cent) apposĂ© aux assistantes sociales – fĂ©minisĂ©e ici car ce dernier s’applique beaucoup moins au genre masculin – qui considĂšre qu’elles se fournissent toutes, vestimentairement parlant, chez la marque Desigual (1) ?

Alors, bien que cette rĂ©flexion gĂ©nĂšre quelques sidĂ©rations de votre part, je vous informe que je ne fais pas partie de cette tribu ! Pour commencer, cette marque ne correspond pas Ă  mes moyens financiers. Ensuite, si je porte des couleurs vives ou foncĂ©es, c’est pour mieux cacher les tĂąches de nourriture que je m’inflige immanquablement Ă  chacun de mes repas. Vous l’aurez compris, je suis gauche et gauchĂšre !

Etant la seule reprĂ©sentante de ma fonction au sein d’une Ă©quipe pluridisciplinaire, entourĂ©e d’éducs et de mĂ©diateurs, je reçois rĂ©guliĂšrement des taquineries liĂ©es Ă  cette reprĂ©sentation. Pour ĂȘtre honnĂȘte, je corresponds toutefois bien Ă  quelques stĂ©rĂ©otypes sur les assistantes sociales – attention, ici je ne parle pas de ceux, surannĂ©s, tels que la vieille fille aux chats, la bonne-sƓur ou la (f)rigide. Oui, j’admets volontiers que je fume comme un pompier, bois des litres de cafĂ©, de la biĂšre aussi aprĂšs une dure journĂ©e, prĂ©viens d’un retard quand j’arrive Ă  l’heure, suis organisĂ©e dans mon bazar et capable de faire un millier de trucs Ă  la fois, tout en m’emmĂȘlant les pinceaux. Je n’ai pas de baguette magique, mais un cerveau qui peut rĂ©flĂ©chir vite, sauf pour le calcul : ce fichu produit en croix me demande toujours rĂ©ellement cinq minutes de rĂ©flexion !

Avec l’expĂ©rience, j’ai appris Ă  accepter mes imperfections. Pire, j’ai mĂȘme appris Ă  les accentuer (trop) souvent pour faciliter l’entrĂ©e en lien avec le public que je cĂŽtoie. Trop de perfections, ainsi qu’une façade lisse, ne peuvent que nous positionner Ă  un niveau au-delĂ  de l’humain (relatif Ă  la toute-puissance) et donc crĂ©er un fossĂ© difficile Ă  combler dans la relation, surtout avec les plus prĂ©caires, les plus Ă©loignĂ©s des institutions.

Alors, quand je prends des notes pendant un entretien, je le justifie en prĂ©cisant que je n’ai pas de tĂȘte. Quand je dois calculer un budget, je demande systĂ©matiquement Ă  la personne que je reçois de m’aider parce que je suis nulle en maths. Quand je me renverse n’importe quelle substance dessus, j’invective la maladresse qui me poursuit et ainsi de suite
 Je joue donc de ces failles pour favoriser un sentiment d’égalitĂ©, un moment de dĂ©tente et de moqueries, donc de partage, instants qui deviennent une sorte de fondement primordial Ă  la relation – d’aide ou Ă©ducative – qui s’installe.

Maintenant et d’aprĂšs vous, suis-je donc une Desigual, c’est-Ă -dire une rĂ©volte contrĂŽlĂ©e, une reprĂ©sentation de la dĂ©structuration, forme de projection en mĂ©taphore de ce que vivent les personnes que nous rencontrons ?


(1) Vous voyez ces habits extrĂȘmement colorĂ©s et dĂ©structurĂ©s qui ressemblent Ă  de l’art abstrait ?