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📝 Tribulations dâune assistante sociale de rue âą Silence et cris
Lâenvie me prend dâĂ©crire et de dĂ©crire la teneur de certains entretiens qui nous enseignent en tant que professionnels.
Raymond, ùgé de bientÎt quarante ans, connaßt un parcours de rue depuis ses 17 ans.
Connu de mon service et dâune maraude partenaire depuis une quinzaine dâannĂ©es, lâentrĂ©e en lien avec lui mâa Ă©tĂ© facilitĂ©e. Jâai rĂ©guliĂšrement Ă©changĂ© avec mes collĂšgues Ă©ducateurs sur leur lassitude face Ă lui : il leur semblait avoir tout essayĂ©, avoir systĂ©matiquement remodelĂ© les objectifs de lâaccompagnement alors que Raymond mettait immanquablement chaque projet en Ă©chec. Ils Ă©taient dĂ©sabusĂ©s. En tant que nouvelle, je discernais parfois de lĂ©gers mouvements positifs chez Raymond, ce qui mâa permis dâenvisager dâintervenir Ă©galement.
Des entretiens tripartites (Raymond, son rĂ©fĂ©rent de la maraude partenaire et moi-mĂȘme) mensuels sont alors organisĂ©s Ă la demande de Raymond. Il est compliquĂ© dâen expliquer la teneur car les premiers sont comparables au vide. Effectivement, avec mon collĂšgue, nous tentions dâamener Raymond Ă lâĂ©laboration, il nous Ă©tait donc frĂ©quent de nâamener quâune seule question ou remarque pour que celui-ci nous tĂ©moigne ce quâil en ressent. Longtemps, Raymond sâest empĂȘchĂ© dâexprimer quoi que ce soit.
Je nâavais jamais connu des entretiens composĂ©s de silences exceptionnellement longs. Jâai toujours su le silence important dans ces moments-lĂ , toutefois je ne lâavais jamais autant poussĂ© Ă son paroxysme. Ces silences prolongĂ©s nous Ă©taient particuliĂšrement nĂ©cessaires car Raymond nâa jamais su exprimer rĂ©ellement de demande, nous laissant les formuler pour lui. Une nouvelle stratĂ©gie relationnelle Ă©tait devenue indispensable. Coute que coute, nous avons fait de ces silences approfondis un outil de travail.
Puis, en fonction de lâĂ©volution de la situation, nous avons connu des entretiens saturĂ©s par les cris, les remontrances, les agacements et les frustrations de Raymond. Ceux-ci nâĂ©taient pas plus Ă©vidents Ă gĂ©rer que les silences, car les attaques rĂ©pĂ©tĂ©es nous amenaient rĂ©guliĂšrement Ă percevoir son mal-ĂȘtre incompris. Nous devenions dĂ©positaires de cette colĂšre sans savoir quoi en faire mais quâil nous fallait endurer. Accepter de recevoir cette violence verbale â sachant quâelle ne nous Ă©tait pas rĂ©ellement adressĂ©e â sans rĂ©actions, nous a permis de faire envisager Ă Raymond que nous ne lĂącherions pas le lien instaurĂ©.
Il est essentiel de se rappeler quâen tant que travailleur social, nous ne sommes pas lĂ pour rĂ©pondre uniquement Ă des demandes formalisĂ©es, mais aussi lĂ pour entendre tous les maux criĂ©s ou tus lors de ces entretiens. Cette position nous permet de percevoir lâĂ©nergie dâun dĂ©sir, quel quâil soit. Elle sâest avĂ©rĂ©e payante pour Raymond. Alors, dans ces espaces, il nous appartient de tenir un silence, une position, une non-rĂ©action pour, bel et bien, nous mettre au service et Ă lâĂ©coute de lâautre.
Retrouvez dans le n°171 de Lien Social le dossier page 5 : « Paroles et silence »