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🖋 Tribune Jean-Michel Boquet au 27 juillet âą #MetooAnimation est enterrĂ©, le sujet des violences sexuelles et sexistes ouvert !
Par Jean-Michel Bocquet, pĂ©dagogue, chargĂ© de cours Ă lâUniversitĂ© Sorbonne Paris-Nord
Signataires :
Jean-Michel Bocquet - pĂ©dagogue, chargĂ© de cours Ă l’universitĂ© Sorbonne Paris-Nord,
MĂ©lina Raveleau et Thibaut Wojtkowski - Co-fondateur.ice.s de toustes en colo.
DĂ©but juillet, le secrĂ©tariat dâĂtat Ă la Jeunesse et au service national universel a lancĂ© une campagne de sensibilisation sur les violences sexistes et sexuelles dans les accueils collectifs de mineurs. Il aurait dĂ» mener une analyse en profondeur sur les violences qui ont Ă©tĂ© dĂ©noncĂ©es en 2022 par #MeTooAnimation.
Le gouvernement a lancĂ© au dĂ©but de lâĂ©tĂ© un plan de lutte contre les violences sexuelles et sexistes dans les colos. Il sâagit dâune opĂ©ration de communication avec la mise en place dâune charte et lâannonce dâun module de formation lors des stages BAFA. Ce plan est issu du ComitĂ© de filiĂšre qui regroupe lâĂtat, des organisateurs et des employeurs de lâanimation et de lâĂ©ducation populaire, les collectivitĂ©s, les financeurs, des syndicats et des associations familiales. Le timing Ă©tait parfait, les vacances arrivaient, les colos allaient refaire la Une de lâactualitĂ©, les colos apprenantes Ă©taient rouvertes. Ces annonces faisaient suite aux rĂ©vĂ©lations en mars 2022 dâune instagrameuse, animatrice en colonie de vacances, Anissa Maille, qui a portĂ© le #MeTooAnimation. Objectif : alerter sur les violences sexuelles dans le milieu de lâencadrement de mineurs. Anissa a recueilli quatre cents tĂ©moignages, dit-elle, de violences sexuelles et sexistes vĂ©cues en colo. Elle a Ă©galement lancĂ© une pĂ©tition signĂ©e par 50 000 personnes du secteur (dont moi). Son action aura permis de mettre, enfin, au milieu de la table, la question de ces violences rĂ©currentes dans les colos et centres de loisirs. DĂšs que les tĂ©moignages ont Ă©tĂ© rendus publics, le secteur des colos, menĂ© par deux associations dâorganisateurs et le syndicat employeur, a tout de suite communiquĂ© pour assurer que les enfants Ă©taient en sĂ©curitĂ© en colo, que les personnel.les recrutĂ©.es Ă©taient vĂ©rifiĂ©.es par les services de lâĂtat, que les animateur.ices Ă©taient formĂ©.es et portaient attention Ă chaque enfant et quâĂ©videmment ils apportaient un soutien aux victimes. Ces trois organisations sâassociaient aux propositions quâAnissa Maille demandait dans sa pĂ©tition : une journĂ©e de prĂ©vention et de sensibilisation dĂ©diĂ©e aux violences sexuelles pendant la formation gĂ©nĂ©rale du brevet dâaptitude aux fonctions dâanimateur (BAFA), une personne rĂ©fĂ©rente en violences sexuelles formĂ©.e dans chaque structure de loisirs accueillant des enfants et lâinterdiction dâembaucher des personnes mises en cause ou signalĂ©es pour infractions sexuelles. Cette derniĂšre interdiction Ă©tant dĂ©jĂ en place puisque lâhonorabilitĂ© des personnels embauchĂ©s est dĂ©jĂ vĂ©rifiĂ©e via un passage au fichier judiciaire automatisĂ© des auteurs dâinfractions sexuelles ou violentes (FIJAIS). Ces propositions (chartes et module de formation) seront soumises et travaillĂ©es au comitĂ© de filiĂšre.
Pas de travail dâanalyse
Entre septembre et aujourdâhui, aucun travail de recherche et dâanalyse nâa Ă©tĂ© rĂ©alisĂ© et publiĂ© sur les tĂ©moignages rĂ©coltĂ©s par Anissa, aucun travail nâa Ă©tĂ© menĂ© via les Ă©vĂ©nements graves nommĂ©s « affaires de mĆurs » qui remontent chaque Ă©tĂ© des colos. Au regard du nombre de tĂ©moignages recueillis (400), un travail en profondeur - du type de ceux menĂ©s par la commission indĂ©pendante sur lâinceste et les violences sexuelles faites aux enfants (CIVIISE), la commission indĂ©pendante sur les abus sexuels dans lâĂglise (CIASE) ou dans de nombreuses associations oĂč des violences sexuelles et sexistes existent - aurait Ă©tĂ© nĂ©cessaire. Ă chaque fois que des travaux sont menĂ©s, une analyse systĂ©mique permet de mettre Ă jour un nombre bien plus important de cas de violences et de comprendre en profondeur les dysfonctionnements. Quatre cents tĂ©moignages pour #MeTooAnimation, 126 affaires de mĆurs en 202-2021. Quelle est donc la rĂ©alitĂ© de ces violences ? Personne ne le sait. Quelles sont les causes prĂ©cises ? Personne ne le sait non plus.
Le travail dâanalyse collectif nâa pas Ă©tĂ© fait.
Pourtant Ă partir de septembre 2022, Anissa Maille est embauchĂ©e comme consultante par le ministĂšre de lâĂducation nationale et de la Jeunesse pour travailler avec le ComitĂ© de filiĂšre sur la question des violences sexuelles et sexistes. En mars 2023, lâassociation #MeTooAnimation change dâobjet social et devient plus large et se consacre Ă la lutte contre les violences sur enfants et adolescent.es (devient Young & safe). En lâabsence dâanalyse des tĂ©moignages, le travail du ComitĂ© de filiĂšre considĂšrera que les violences sexuelles et sexistes ne relĂšvent que de la responsabilitĂ© individuelle des agresseurs et non dâune responsabilitĂ© collective, systĂ©mique ou structurelle, notamment liĂ©e au modĂšle pĂ©dagogique traditionnel et patriarcal, aux organisations structurelles genrĂ©es et/ou aux outils pĂ©dagogiques violents en place dans les colos et dans les formations Ă lâanimation volontaire.
Un plan com
En rĂ©ponse au plan com dâĂ©tĂ© 2022 des organisateurs, je rĂ©digeais un long article publiĂ© dans le Journal de lâanimation pour dĂ©noncer les mensonges du secteur sur les violences sexuelles et sexistes. On aurait pu imaginer que le ComitĂ© de filiĂšre sâappuie sur mes travaux, mais aussi sur ceux trĂšs riches du mouvement rural de jeunesse chrĂ©tienne (MRJC) ou des Ăclaireurs et Ăclaireuses de France, mais rien. Le ComitĂ© appuyĂ© par la consultante Anissa Maille a repris la mĂȘme dynamique que celle des organisateurs : les colos sont sĂ»res, on contrĂŽle les gens et on va communiquer pour dire quâon agit. Comme lâaffirme le communiquĂ© des organisateurs de colos de juin 2022, « La problĂ©matique des violences sexistes et sexuelles touchant lâensemble de la sociĂ©tĂ©, elle impacte malheureusement Ă©galement nos structures ». Ni plus ni moins.
Au final, dix mois de travail pour arriver aux propositions faites dĂšs le mois de juin 2022, sans aucune Ă©volution significative ou analyse en profondeur des violences sexuelles vĂ©cues par des enfants en colos. Les rĂ©sultats sont donc faibles, mais Ă la hauteur des intentions des organisateurs et du gouvernement : ne rien changer et apporter des mesures cosmĂ©tiques, afficher des dĂ©cisions, mais sans moyens et sans volontĂ© de rĂ©els changements. Les violences sexuelles et sexistes sont traitĂ©es comme tant dâautres politiques publiques depuis lâĂ©lection dâEmmanuel Macron : rĂ©cupĂ©rer un.e .influenceuse, embaucher des consultants (ici la mĂȘme personne), dĂ©rouler un ersatz de nĂ©gociation, puis annoncer des mesurettes sans moyens (une charte, un numĂ©ro vert, une campagne de pub ou un flyer), puis le consultant et/ou lâinfluenceur/ceuse se fait embaucher par le plus gros acteur privĂ© du secteur.
DĂ©claration dâintention et un sujet qui reste ouvert :
Au bout dâun an de travail sur un sujet aussi important que les violences sexuelles et sexistes que vivent les enfants dans les colonies de vacances, les mesures annoncĂ©es risquent fort de ne pas changer le quotidien des enfants qui partiront en colo. La charte est une dĂ©claration dâintention, le module de formation BAFA ne touchera que les nouveaux diplĂŽmĂ©s et pas les directions dĂ©jĂ en place. Le peu dâargent mobilisĂ© sera dĂ©pensĂ© en campagne de pub pour expliquer aux parents « que leurs enfants sont en sĂ©curitĂ©, prĂ©servĂ©s des violences sexuelles et sexistes pendant leurs vacances en centre aĂ©rĂ© ou en colonies de vacances ». Lâaffirmer, câest presque dire le contraire, ou, au moins dire, quâavant les colos nâĂ©taient pas sĂ»res et quâaujourdâhui elles le sont. Pourtant le ministre de la Jeunesse, Patrick Kanner disait dĂ©jĂ en 2015, via une campagne de communication « En colo, jâai confiance » et affirmait : « nous voulons rassurer les parents sur la formation et la qualitĂ© des animateurs des colonies de vacances grĂące Ă un systĂšme d’embauche entiĂšrement revalorisĂ© ». Huit ans aprĂšs, nous en sommes toujours au mĂȘme point et avec les mĂȘmes outils inutiles.
Les organisateurs alliĂ©s au gouvernement ont fait disparaitre le hashtag #MeTooAnimation, ils ont achetĂ© lâinstagrammeuse, comme une marque achĂšte une influenceuse, mais malheureusement les violences sexuelles et sexistes perdurent dans les colos.
De cette année de travail, il reste un sujet ouvert et à travailler. Des militantes et militants pédagogiques plus que jamais mobilisé.e.s pour construire des colos safe.
Finalement, est-ce que ça ne serait pas là la plus grande victoire de #MeTooAnimation ?
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