Un enfant cousu de fil gris

Les travailleurs sociaux les connaissent bien ces itinéraires brisés d’enfants ou d’adolescents qui prolongent leur vie adulte dans des conditions tout aussi aléatoires que l’ont été leurs vingt premières années. Mais ils ne les suivent, en général, qu’une très petite fraction de temps. Assistants sociaux, éducateurs spécialisés, infirmiers, psychiatres, psychologues les ont accompagnés, chacun un moment, puis se sont retirés, passant le relais aux suivants. Ce qui n’est pas le cas des parents qui sont présents avant et pendant ces interventions spécialisées et surtout après, quand ils constituent le seul recours : ce sont les seuls qui restent, quand tous les autres ont disparu du circuit.

Autant il est important de parler, sans langue de bois, de ces familles toxiques qui pourrissent la vie de leurs enfants en les enfermant dans les placards, en les battant ou en les négligeant, autant il est essentiel d’évoquer celles qui restent présentes à leur poste, indéfectiblement et sans beaucoup de failles, vivant dans le désespoir de ne jamais voir leurs enfants réussir à s’en sortir. Le livre de Lisa Heme nous décrit un tel parcours s’échelonnant sur près de quarante ans. Le récit qu’elle nous livre constitue un hommage à tous ces parents empêtrés dans une véritable galère dont ils ne savent s’ils en verront, un jour, la fin. Tout semblait se dérouler sans anicroches pour Alexandre, jusqu’à ses huit ans, enfant choyé par un père et une mère qui, quoique divorcés, respectaient chacun la place de l’autre. Une maladie très invalidante va être le déclencheur d’une véritable descente en enfer pour l’enfant, devenu adolescent puis adulte, faisant perdre tout espoir à sa famille. Toxicomanie, délinquance, errance vont s’enchaîner, les épisodes dramatiques se succédant aux événements tragiques sur une interminable période faite d’angoisse et de souffrance, jusqu’à une issue plus que surprenante.