N° 1281 | Le 13 octobre 2020 | Critiques de livres (accès libre)
Promouvoir le rapport d’usage
L’action sociale est prise aujourd’hui dans des évolutions sociétales majeures qui l’amènent à se transformer radicalement. Elle est de plus en plus poreuse aux sirènes lucratives et concurrentielles, sous l’influence de l’antienne néolibérale qui cherche à éradiquer toutes les formes instituées au profit de la libre initiative des individus. D’un côté, des technophiles qui multiplient les outils permettant de placer l’« usager au centre », en étant persuadés que la solution à tous les problèmes consiste à en faire un client. De l’autre, les technophobes qui chargent la technique de tous les maux, revendiquant la dimension exclusivement humaine de la relation interpersonnelle. L’auteur rejette ces deux orientations comme autant d’impasses. D’abord parce que l’innovation technique n’est pas un problème en soi, l’être humain ayant toujours cherché à dépasser les obstacles auxquels l’ancien dispositif se heurtait. Ensuite, parce que si les travailleurs sociaux ont le sentiment d’être menacés, c’est bien parce qu’ils se sont enfermés dans une logique corporatiste d’expertise, réduisant l’usager à l’état d’objet passif d’une analyse clinique destinée à décrypter ses non-dits et intentions cachées. Face à l’embolisation de la technocratie et de la bureaucratie, il est possible de faire un bon usage des outils techniques : en les refusant, détournant ou se les appropriant d’une manière différente. L’enjeu du rapport d’usage défendu par Roland Janvier est bien cette alliance entre professionnels et usagers qui constitue, à ses yeux, une alternative tant au modèle communautaire (qui préconise l’auto-organisation des personnes en difficulté) qu’à celui du marché (qui n’admet plus qu’un rapport entre professionnel/prestataire et usager/consommateur). S’il ne s’agit pas d’être dans la confusion entre les compétences des travailleurs sociaux et celles des usagers, en faisant de ces derniers les seuls dépositaires du savoir les concernant (au risque de les confronter à l’échec), il est possible de réinvestir les potentialités citoyennes des personnes accompagnées. Mais, c’est là une autre culture qui doit se développer, comme le montre l’accueil paradoxal apporté à l’accroissement de la participation des usagers instituée par la loi 2002-2 : les travailleurs sociaux s’y sont montrés très favorables, à une condition toutefois … que ceux du secteur où ils travaillent ne soient pas concernés !
Jacques trémintin
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