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« Dans mon travail, l’accompagnement est l’eau qui étanche la soif. »

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Quel mot associez-vous spontanément au travail social ?

Accompagner (lien éducatif). Ce mot peut sembler vide de contenu mais ce n’est pas le cas. J’ai parfois du mal à décrire ma profession et à l’expliquer aux autres. Dans ma vie quotidienne à la résidence, des regards d’enfants et d’adolescents me laissent désemparé. J’entends des vies déchirées, je touche des mains tremblantes et je perçois des émotions de toutes sortes. Dans mon travail, l’accompagnement est l’eau qui étanche la soif. Nous donnons à ces enfants et à adolescents la possibilité d’exprimer leurs peurs, leurs colères, leurs tristesses et leurs angoisses - et je ne peux que leur offrir d’être là avec leur souffrance. Cela semble peu, mais pour eux c’est beaucoup : la solitude est l’une de leurs vieilles connaissances.
Mon travail va au-delà de ce que j’essaie d’expliquer ici, il consiste à être là. Si chaque jour que je passe avec eux, je peux les atteindre quelques minutes, ce sera une journée gagnée.

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Pour quelles raisons avez-vous choisi votre métier ?

Dans ma jeunesse - j’ai déjà un certain âge - j’ai fait du bénévolat dans des organismes sociaux de protection de l’enfance. Là j’ai commencé à connaître des histoires de cœurs brisés qui erraient seuls, là j’ai commencé à apprendre à observer comment prendre soin, comment atteindre ces enfants, comment les accompagner. Cela m’a fait réfléchir. Après vingt ans de travail en tant que chimiste, j’ai compris que ma réelle vocation était sociale. C’est là que j’ai appris à lire les lueurs des yeux de nombreux enfants et adolescents, leurs lacunes et leurs vertus.
Quitter le monde de la chimie avec trois jeunes enfants ne fut pas un choix facile mais aujourd’hui je crois que c’était le bon. J’ai toujours pensé que le destin offre des opportunités qu’il faut savoir identifier.

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Quelle formation avez-vous suivie ?

J’ai une formation diversifiée, mais en ce qui concerne le domaine social, je suis titulaire d’un diplôme universitaire d’éducateur social de l’Universitat Oberta de Catalunya (Barcelone), j’ai suivi un cycle de formation supérieure de l’éducation de l’enfant et je bénéficie d’une accréditation en tant qu’intégrateur social à l’Institut Oberta de Catalunya. J’ai également suivi des formations en psychologie, sociologie et pédagogie régulièrement proposées aux éducateurs sociaux des centres résidentiels d’actions éducative (CRAE) par le Consortium des services sociaux de Barcelone.
Le domaine du social est très changeant et les rythmes d’adaptation qu’il réclame diffèrent de celui des formations. Nous parlons de réalités que les formations académiques peuvent difficilement montrer : on les découvre « sur place », sur son lieu de travail. Dans « les tranchées », le professionnel se trouve dans des situations qui n’apparaissent dans aucun manuel d’éducateur. Nous éducateurs, ne finissons jamais notre formation, il y a toujours quelque chose de nouveau à apprendre, le partage des connaissances avec les formateurs est fondamental pour que les futurs éducateurs puissent toucher les enfants et leurs réalités.

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Quel est votre meilleur souvenir professionnel ?

Les enfants et adolescents que nous accueillons en résidence ont un modèle familial déstructuré, l’adaptation à d’autres modèles et leur intégration passent par le lien établi entre l’enfant et l’éducateur. Sans celui-ci, l’enfant reste dans une situation d’abandon et continuera à souffrir de carences partout où il ira.
Un jour, nous avons accueilli deux jumeaux âgés de 7 ans. Deux ans auparavant, ils avaient été retirés à leurs parents et placés dans une résidence. À l’âge de six ans, ils ont été placés en famille d’accueil mais celle-ci n’a pas souhaité continuer car les conflits, la jalousie entre les deux frères, au fil du temps, ont gravement affecté la dynamique familiale.
Quand nous les avons accueillis, nous avons senti que le lien entre eux pouvait être travaillé et avons refusé la séparation suggérée par les rapports administratifs. Je suis devenu leur référent. Je reconnais qu’il n’a pas été facile de me connecter à eux. Quand ils sont arrivés dans notre centre ils étaient l’un pour l’autre leur seule famille, leurs parents n’étaient pas là, la famille d’accueil non plus, en peu de temps les personnes importantes ont disparu de leur vie.
Au fil du temps, ici dans notre résidence, le lien entre eux et moi s’est tissé, je leur ai montré d’autres modèles, d’autres manières de vivre ensemble, qu’ils ont au fil du temps intégrés.

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Le pire ?

Dans ma résidence il y a des jours heureux : quand l’enfant retourne au domicile familial dans de bonnes conditions et les jours désolants : quand le processus de retour en famille ne produit pas le résultat escompté. Les services sociaux ou la famille elle-même replacent alors l’enfant dans une résidence, pas toujours celle qu’il a quittée s’il n’y a pas de place disponible à ce moment-là. Le retrait d’un enfant pour cause d’abandon familial est un enfer mais je peine à exprimer par les mots ce que signifie un deuxième abandon. Ces enfants reviennent dans nos foyers touchés, tristes, désespérés, brisés, très brisés.

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Quel est votre livre de chevet ?

Frankenstein pédagogue de Philippe Meirieu (ESF éditeur, 1996). C’est un livre que j’aime beaucoup. Il montre à quel point les processus éducatifs peuvent être ambivalents et contradictoires. L’auteur utilise l’expression « fabriquer un homme et l’abandonner, c’est prendre le risque d’en faire un monstre  ». Cet ouvrage parle des contenus (connaissances, capacités, aptitudes) pour l’acquisition des compétences, mais aussi de la pensée critique qui ne se nourrit pas seulement de contenu. C’est l’éducateur lui-même qui acquiert un rôle prépondérant dans le processus de formation de l’enfant : un éducateur peut se présenter comme un parent, un tuteur, un enseignant ou une personne influente dans la vie de l’enfant ; il ne le façonne pas, ce serait le fabriquer et l’enfant ferait preuve de résistance, donc tout est question de rencontre.

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(1) Un centre résidentiel d’action éducative (CRAE) est un service né de la nécessité de s’occuper des enfants et des adolescents protégés par la Direction générale de l’attention à l’enfance et à l’adolescence(DGAIA). Il relève du gouvernement autonome de Catalogne (Espagne). Les éducateurs sociaux y assurent un accompagnement socio-éducatif. Ils se placent aux côtés de l’enfant, lui offrent conseil et soutien, tout en les aidant à mener à bien leurs projets et à surmonter les difficultés qu’ils doivent affronter.

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Pour suivre Antonio Argüelles Balletbó : https://educadorsocial.wixsite.com/miradasdelalma https://linktr.ee/Antonio_Miradas_del_Alma

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Retrouvez les précédents autoportraits

🖋 Murielle A., éducatrice spécialisée en centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS)

🖋 Thierry Trontin, co-gérant de la SCOP Voyageurs-Éducateurs et d’un lieu de vie et d’accueil

🖋 Laurence, référente de parcours du Programme de réussite éducative

🖋 Romain Dutter, ex-coordinateur culturel au centre pénitentiaire de Fresnes

🖋 Yazid Kherfi, médiateur tout terrain

🖋 Claude, assistante de service social en polyvalence de secteur

🖋 Patrick Norynberg, formateur consultant en politique publique, cofondateur et président de la Régie de quartier du Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis)

🖋 Émilie Philippe, éducatrice de jeunes enfants, membre du collectif Pas de bébés à la consigne depuis sa création en 2009.

🖋 Florent Guéguen, directeur de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS)

🖋 Léa Turchi, assistante de service social, coordinatrice à la mission interface au Samusocial de Paris

🖋 Sadek Deghima, chef de service d’un club de prévention spécialisée

🖋 Lucile Bourgain, monitrice-éducatrice

🖋 Tristan Montaclair-Le Foulgoc, éducateur de jeunes enfants qui travaille avec des adolescents

🖋 Cristel Choffel, conseillère technique de service social

🖋 Driss Blal, éducateur spécialisé, chef de projet au cœur d’un dispositif mis en place par un collectif d’habitants originaires du quartier populaire où il a grandi Tarbes (Hautes-Pyrénées)

🖋 Laure, assistante de service social en service spécialisé « Familles »

🖋 Vince, l’éduc spécial, agitateur spécialisé, dessinateur, chroniqueur, auteur, et accessoirement chef de service éducatif...

🖋 Julie (1), 33 ans, cheffe de service dans une structure accompagnant des mineurs isolés étrangers

🖋 Carlos Lopez, éducateur à la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) depuis 1999

🖋 Charline Olivier, intervenante sociale en gendarmerie

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Vous êtes tentés par l’exercice d’autoportrait de travailleur social ? Vous souhaitez partager votre expérience ? N’hésitez à nous contacter à l’adresse suivante : katia.rouff@lien-social.com